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: La Première Croisade (1095-1099) 

Introduction 

La Première croisade fut un événement marquant de l’histoire médiévale, tant par son ampleur que par ses conséquences. Elle se situe dans un contexte de renouveau religieux, de tensions politiques en Orient et de profondes mutations sociales en Occident. À la fin du XIe siècle, le monde chrétien, morcelé mais en expansion, répond à l’appel lancé par le pape Urbain II au concile de Clermont en 1095. L’objectif affiché : secourir les chrétiens d’Orient et libérer Jérusalem, la cité sainte, tombée entre les mains musulmanes depuis le VIIe siècle. Ce vaste mouvement, qui mêle foi, guerre, pénitence, conquête et aventure, marque le début de près de deux siècles de croisades. Il inaugure une nouvelle ère dans les relations entre l’Occident latin, l’Empire byzantin et le monde musulman. 

 

I. Les causes de la Première croisade 

1. Le contexte religieux 

Le XIe siècle est marqué par une renaissance religieuse en Occident. Le mouvement de la réforme grégorienne, initié par le pape Grégoire VII, cherche à affirmer l’autorité spirituelle de l’Église sur les laïcs, y compris les rois. L’idéal de la paix de Dieu, prônant la limitation de la violence des seigneurs, émerge comme un moyen de canaliser les conflits internes. Dans ce climat, l’idée de croisade apparaît comme une réponse divine à la violence : il ne s’agit plus de combattre ses voisins, mais de mener une guerre juste, sacrée, contre les ennemis de la foi. 

L’Église cherche également à renforcer son autorité morale et à fédérer les différentes forces chrétiennes autour d’une cause commune. Jérusalem, ville de la Passion du Christ, devient le symbole d’un christianisme offensif, désireux de reprendre pied dans les lieux saints. 

2. Le contexte politique 

Depuis plusieurs décennies, l’Empire byzantin fait face à la poussée des Turcs seldjoukides, qui ont infligé une sévère défaite à l’empereur Romain IV Diogène à Manzikert en 1071. Cette défaite marque le début d’un repli byzantin en Asie Mineure. En 1095, l’empereur Alexis Ier Comnène, inquiet de la progression turque et du risque d’effondrement de son empire, adresse un appel à l’aide à l’Occident. 

L’Église latine voit dans cet appel une occasion de rapprochement avec les Byzantins — bien que le schisme de 1054 ait récemment divisé l’Église entre catholiques et orthodoxes — tout en assumant un rôle de chef spirituel et militaire dans la défense du christianisme. 

3. Le contexte social et économique 

L’Occident médiéval connaît une croissance démographique et un essor économique. Cependant, de nombreux cadets de famille, exclus de l’héritage féodal, se retrouvent sans terres ni avenir. Pour beaucoup, la croisade représente une opportunité de trouver des terres à conquérir, une vie meilleure, mais aussi le salut éternel, puisque les croisés se voient accorder la rémission des péchés. 

La société féodale, marquée par une violence endémique, voit dans la croisade un exutoire : canaliser l’agressivité des chevaliers vers un ennemi extérieur et lointain. 

 

II. L’appel à la croisade : le concile de Clermont (1095) 

1. Le discours du pape Urbain II 

En novembre 1095, au concile de Clermont, en Auvergne, le pape Urbain II prononce un discours resté célèbre, bien que connu seulement par des sources postérieures. Il appelle les chevaliers chrétiens à prendre la croix et à partir libérer les lieux saints, en particulier Jérusalem. Il promet la rémission totale des péchés à ceux qui participent à cette entreprise sacrée. 

Urbain II présente la croisade comme un pèlerinage armé. Il insiste sur l’idée d’un devoir sacré, de l’aide aux chrétiens d’Orient et du salut personnel. Il décrit également les exactions supposées des musulmans à l’encontre des pèlerins et des lieux saints, pour susciter l’indignation et l’émotion. 

2. Les motivations spirituelles et matérielles 

La promesse du salut éternel agit comme un puissant moteur. La croisade devient un acte de pénitence. L’enthousiasme est immédiat. De nombreux chevaliers, mais aussi des paysans, des artisans et des clercs, prennent la croix. On coud un tissu en forme de croix sur l’épaule ou la poitrine pour symboliser l’engagement. 

Mais des motivations plus terrestres existent aussi : l’attrait de l’aventure, l’espoir de richesses, le rêve de terres nouvelles en Orient. 

3. La réaction en Europe : enthousiasme et exagérations 

L’appel du pape se propage rapidement dans toute l’Europe grâce aux prédicateurs comme Pierre l’Ermite. L’enthousiasme populaire est tel que de nombreux groupes se forment spontanément, sans organisation réelle, prêts à partir immédiatement vers l’Orient. 

Cette réaction montre l’unité spirituelle de l’Occident chrétien autour de l’idée de croisade, mais aussi les dangers d’une mobilisation massive et mal encadrée. 

 

III. Le départ et les premières expéditions 

1. La croisade des pauvres 

Avant même que les nobles n’aient organisé leur expédition, une foule hétéroclite se met en marche au printemps 1096. Conduits par Pierre l’Ermite et Gautier Sans-Avoir, ces milliers de pèlerins mal armés traversent l’Europe centrale, semant parfois la violence derrière eux. 

Arrivés en Hongrie et dans l’Empire byzantin, ces groupes causent des troubles, notamment par manque de ravitaillement. Alexis Ier, inquiet, fait transporter ces foules en Asie Mineure, où elles tombent rapidement dans une embuscade tendue par les Turcs seldjoukides près de Nicée. La plupart sont tués. 

2. Les violences contre les Juifs 

Sur le chemin, certains groupes s’en prennent aux communautés juives de Rhénanie (Mayence, Trèves, Cologne). Les croisés, animés par un zèle religieux dévoyé, voient dans les Juifs des "ennemis intérieurs" à convertir ou à éliminer. Ces pogroms marquent le début d’une longue série de persécutions contre les Juifs d’Europe. 

Ces violences ne sont pas encouragées par l’Église, mais elles témoignent des tensions religieuses et du fanatisme de certains croisés. 

3. Les premières confrontations en route vers Byzance 

Les forces plus structurées des barons se préparent à leur départ au cours de l’été 1096. Quatre grandes armées prennent la route par différentes voies (France, Italie, Allemagne), convergeant vers Constantinople. Le voyage est long, semé d’embûches, de famines, d’escarmouches, mais il permet aussi aux chefs de s’imposer. 

 

IV. L’organisation de la croisade des barons 

1. Les chefs de la croisade 

Contrairement à la croisade populaire, la croisade des barons est dirigée par les grands seigneurs féodaux : Godefroy de Bouillon, duc de Basse-Lotharingie ; Bohémond de Tarente, fils d’un normand d’Italie ; Raymond IV de Toulouse, l’un des plus puissants ; Hugues de Vermandois, frère du roi de France ; Robert de Normandie et Étienne de Blois. 

Malgré leurs rivalités, ces chefs acceptent de coopérer sous une forme lâche de commandement collégial. Ils n’ont pas de chef suprême au départ, mais leur but est clair : atteindre Jérusalem. 

2. L’accueil à Constantinople 

L’empereur Alexis Ier accueille les croisés avec méfiance. Il craint une armée difficile à contrôler. Il demande aux chefs croisés de lui prêter serment de fidélité et de lui restituer les territoires repris autrefois byzantins. Certains acceptent, d’autres tergiversent, notamment Bohémond, aux ambitions personnelles évidentes. 

3. Le serment et les tensions 

Malgré le serment, les relations entre Byzantins et Latins restent tendues. Les Byzantins fournissent un soutien logistique, mais se méfient. Les croisés, quant à eux, regardent les Byzantins avec suspicion, les accusant parfois de trahison ou de duplicité. 

 

V. Les grandes étapes militaires 

1. La prise de Nicée 

En mai 1097, les croisés assiègent Nicée, capitale des Seldjoukides en Asie Mineure. Après plusieurs semaines, la ville se rend, mais à Alexis Ier, qui avait négocié secrètement sa reddition. Cette victoire marque le début des succès militaires des croisés, bien que certains en ressentent une frustration. 

2. La bataille de Dorylée 

En juillet 1097, les croisés affrontent les Turcs de Kilij Arslan à Dorylée. La victoire est nette. Elle permet aux croisés de traverser l’Anatolie, malgré la chaleur, la soif et les maladies. La traversée de l’Asie Mineure est pénible, mais elle mène les croisés aux portes de la Syrie. 

3. Le siège d’Antioche 

Antioche, grande ville syrienne, est assiégée pendant huit mois (1097-1098). La faim, les désertions et les combats éprouvent les croisés. La ville tombe finalement grâce à la trahison d’un garde arménien. 

Mais les croisés doivent immédiatement affronter une armée musulmane venue reprendre la ville. C’est là qu’apparaît la "Sainte Lance", censée avoir transpercé le flanc du Christ, redonnant espoir aux croisés qui remportent la bataille dans une ferveur mystique. 

4. La prise de Jérusalem 

En juin 1099, les croisés arrivent enfin devant Jérusalem, tenue par les Fatimides d’Égypte. Le siège est difficile, la ville bien défendue, et la chaleur accablante. Après un mois, une brèche est ouverte, et le 15 juillet 1099, Jérusalem est prise d’assaut. 

La prise de la ville s’accompagne d’un massacre : musulmans et juifs sont tués, dans une violence qui marque les esprits. Pour les croisés, c’est une vengeance sacrée ; pour les musulmans, une terrible humiliation. 

 

VI. La création des États latins d’Orient 

1. Le royaume de Jérusalem 

Après la conquête de la ville sainte, les croisés doivent choisir un chef. Godefroy de Bouillon est désigné, mais refuse le titre de roi, préférant celui d’"Avoué du Saint-Sépulcre". Il meurt un an plus tard. Son frère Baudouin devient roi de Jérusalem, inaugurant une dynastie latine en Terre sainte. 

2. Les autres États croisés 

Trois autres États sont créés : 

  • Le comté d’Édesse (premier fondé en 1098) 

  • La principauté d’Antioche, tenue par Bohémond 

  • Le comté de Tripoli, conquis un peu plus tard 

Ces États sont entourés d’un monde musulman hostile. Ils s’appuient sur des forteresses, des chevaliers occidentaux, des alliances locales parfois fragiles. 

3. Une nouvelle société féodale 

Les Latins d’Orient reproduisent la société féodale occidentale : seigneuries, vassalité, clergé latin. Des ordres militaires comme les Hospitaliers ou les Templiers apparaissent pour défendre les pèlerins et les territoires. 

 

VII. Conséquences de la Première croisade 

1. Pour la chrétienté occidentale 

La croisade renforce le prestige du pape et de l’Église. Elle donne naissance à un nouvel idéal chevaleresque, mêlant piété et guerre. L’Occident affirme son rôle comme défenseur de la foi chrétienne. 

Mais la croisade crée aussi des tensions internes : les familles se divisent, les coûts sont lourds, et certains y trouvent la mort ou la ruine. 

2. Pour le monde byzantin et musulman 

L’Empire byzantin récupère des territoires, mais reste inquiet devant les Latins installés en Orient. Les tensions se poursuivent, notamment lors de la croisade suivante. 

Pour le monde musulman, la croisade est un choc. Les divisions internes expliquent leur échec, mais l’humiliation de Jérusalem est un traumatisme. L’idée de djihad émerge progressivement en réponse. 

3. Un impact durable 

La croisade ouvre une ère de conflits récurrents entre chrétiens et musulmans. Elle inaugure huit grandes croisades, jusqu’au XIIIe siècle, mais aussi de nombreuses expéditions secondaires. Elle laisse un souvenir ambivalent, glorifié en Occident, tragique en Orient. 

 

Conclusion 

La Première croisade représente un tournant dans l’histoire du Moyen Âge. Elle conjugue ferveur religieuse, violence extrême, quête de salut et ambitions politiques. Elle bouleverse les équilibres méditerranéens, installe des Latins en Orient, mais crée aussi les germes d’une longue confrontation entre les mondes chrétien et musulman. 

Elle est aussi le fruit d’un moment historique unique, où le pape, les chevaliers et les masses populaires convergent vers un objectif sacré commun : Jérusalem. Qu’on la juge comme un acte de foi ou un déchaînement de fanatisme, la Première croisade demeure un événement fondateur de la mémoire collective de l’Occident médiéval. 

 

La Deuxième croisade (1145–1149) 

Introduction 

La Deuxième croisade constitue l’un des épisodes majeurs du XIIe siècle. Elle intervient un demi-siècle après la conquête de Jérusalem par les croisés lors de la Première croisade. Cette expédition fut lancée en réaction à la prise de la ville d’Édesse, l’un des États latins d’Orient, par les forces musulmanes de l’émir Zengi. Si la Première croisade avait été un immense succès, cette seconde tentative de mobilisation générale des forces chrétiennes d’Occident pour défendre les Lieux saints se solde par un échec retentissant. Pourtant, elle implique pour la première fois des rois en personne – Louis VII de France et Conrad III du Saint-Empire – et bénéficie du soutien spirituel d’un personnage majeur de l’époque, Bernard de Clairvaux. Comprendre la Deuxième croisade, c’est saisir la complexité croissante des relations entre l’Orient latin, l’Occident chrétien et le monde musulman, alors en pleine recomposition. 

 

I. Le contexte historique et les causes de la Deuxième croisade 

1. Les États latins d’Orient après la Première croisade 

Après la prise de Jérusalem en 1099, les croisés avaient fondé plusieurs États en Orient : le royaume de Jérusalem, la principauté d’Antioche, le comté de Tripoli et le comté d’Édesse. Ces entités politiques, souvent fragiles et isolées, survivaient grâce à des alliances locales, au soutien de nouveaux arrivants occidentaux, et à une supériorité militaire momentanée. Mais elles étaient entourées d’un monde musulman vaste, numériquement supérieur, et qui, bien qu’encore divisé, commençait à se réorganiser face à cette présence étrangère. 

2. La montée en puissance de Zengi et la chute d’Édesse 

Zengi, atabeg de Mossoul et d’Alep, devient l’un des premiers grands chefs musulmans à incarner une réponse unifiée à la présence franque. En 1144, il lance une offensive décisive contre Édesse, la plus septentrionale et la plus vulnérable des colonies latines. Le siège dure un mois, et la ville tombe en décembre 1144. C’est un choc profond pour la chrétienté, car c’est la première grande reconquête musulmane d’une ville croisée. 

La prise d’Édesse révèle à quel point les États latins sont menacés et fragiles. C’est aussi une victoire symbolique pour Zengi, qui se présente comme le défenseur de l’islam contre les infidèles. Son prestige s’en trouve considérablement renforcé. 

3. L’émotion en Occident et l’appel à la croisade 

La nouvelle de la chute d’Édesse arrive en Occident au début de 1145. Elle provoque une vive émotion dans les milieux ecclésiastiques. Le pape Eugène III, ancien moine cistercien et disciple de Bernard de Clairvaux, publie la bulle Quantum praedecessores le 1er décembre 1145. Il y appelle à une nouvelle croisade pour défendre les terres chrétiennes en Orient. La croisade est ainsi relancée, cette fois comme une entreprise défensive. 

4. L’intervention de Bernard de Clairvaux 

Le pape Eugène III charge Bernard de Clairvaux, l’un des plus grands prédicateurs de son temps, de mobiliser les foules. Bernard sillonne la France et l’Allemagne, appelant à prendre la croix. Sa prédication est un immense succès : il galvanise l’enthousiasme religieux, présente la croisade comme un acte de foi, de pénitence et de justice. Il persuade deux souverains majeurs de se joindre à l’expédition : le roi de France Louis VII et l’empereur Conrad III du Saint-Empire romain germanique. 

 

II. L’appel à la croisade et la mobilisation en Occident 

1. La prédication de Bernard de Clairvaux 

Bernard de Clairvaux intervient dans un contexte plus complexe que celui de 1095. La ferveur religieuse est réelle, mais l’échec moral de la Première croisade (massacres, divisions, enrichissements personnels) a laissé des traces. Bernard insiste donc sur la purification spirituelle des croisés. Il prêche à Vézelay devant une foule immense au printemps 1146. Son autorité religieuse donne à la croisade une légitimité nouvelle. Il encourage les chrétiens à se détourner de leurs conflits internes pour rejoindre l’armée du Christ. 

Mais la prédication n’a pas que des effets positifs. Comme en 1096, elle suscite également des violences antijuives en Rhénanie, que Bernard tente d’empêcher, sans succès complet. 

2. Les réponses des souverains : Louis VII et Conrad III 

Louis VII, roi de France, est profondément religieux et personnellement touché par la perte d’Édesse. Il voit dans la croisade une mission sacrée, mais aussi un moyen de renforcer son autorité royale face aux grands féodaux. Il prend la croix dès 1146. 

Conrad III, empereur du Saint-Empire, suit peu après. Sa décision est également religieuse, mais aussi politique : affirmer sa primauté dans le monde chrétien et rivaliser avec la France. Pour la première fois, deux rois partent ensemble en croisade, donnant à l’expédition un prestige sans précédent. 

3. Le rôle des femmes : Aliénor d’Aquitaine 

La présence d’Aliénor d’Aquitaine, épouse de Louis VII, marque cette croisade d’une note singulière. Accompagnée d’un important cortège féminin, elle suit son mari jusqu’en Orient. Cela suscite des critiques dans certains milieux, mais reflète aussi l’ampleur sociale de la mobilisation. Le rôle d’Aliénor et des femmes croisés est aujourd’hui réévalué, montrant qu’elles participèrent activement à l’entreprise, même si elles n’étaient pas combattantes. 

4. La préparation et les itinéraires 

Les deux armées prennent des routes différentes : Conrad III part avec ses troupes allemandes par la Hongrie et l’Empire byzantin. Louis VII emprunte la même voie quelques semaines plus tard. Le pape Eugène III bénit les départs. Des contingents de croisés partent également de Flandre, de Bourgogne, de Provence, voire d’Angleterre. Mais l’expédition n’est pas unifiée, et les divergences stratégiques se font vite sentir. 

 

III. Le déroulement de la croisade 

1. Le voyage des Allemands et les échecs en Anatolie 

Conrad III arrive à Constantinople à l’automne 1147. Il est accueilli fraîchement par l’empereur byzantin Manuel Comnène, qui se méfie des croisés. L’armée allemande traverse l’Anatolie en direction d’Iconium (Konya), mais tombe dans une embuscade tendue par les Turcs seldjoukides. L’armée est décimée près de Dorylée, en octobre 1147. Conrad lui-même échappe de peu à la mort et doit se replier à Constantinople. 

C’est un premier échec majeur. L’armée impériale est détruite en grande partie. Les Allemands sont démoralisés. 

2. Le voyage des Français et leurs difficultés 

Louis VII arrive à son tour à Constantinople fin 1147. Il tente de suivre une route similaire à celle de Conrad, mais les difficultés logistiques, les attaques turques, la faim et la soif affaiblissent aussi son armée. Une partie importante des croisés français est tuée ou dispersée en traversant l’Anatolie. L’expédition devient une longue épreuve, loin de l’idéal prêché par Bernard. 

Louis VII finit par rejoindre Antioche par la mer en 1148, accueilli par Raymond de Poitiers, oncle d’Aliénor. Des tensions naissent entre Louis, plus prudent, et Raymond, qui voulait le convaincre d’attaquer Alep. Aliénor, favorable à la stratégie de son oncle, entre en conflit avec son époux. Ce désaccord annonce la rupture du couple quelques années plus tard. 

3. La rencontre à Jérusalem et les plans d’action 

Conrad III rejoint finalement Jérusalem au printemps 1148, après s’être remis à Constantinople. Les deux rois se retrouvent dans la ville sainte. Un grand conseil se tient à Acre en juin 1148, en présence des barons du royaume de Jérusalem. 

Deux options se présentent : 

  • tenter de reconquérir Édesse, tombée depuis 1144, 

  • ou attaquer Damas, ville syrienne encore indépendante mais perçue comme une menace ou un partenaire incertain. 

La seconde option est choisie. L’objectif est d’unifier les forces chrétiennes autour d’un projet concret et ambitieux. 

4. Le siège de Damas (1148) : un échec retentissant 

Le siège de Damas commence en juillet 1148. L’armée croisée s’installe à l’ouest de la ville, mais se heurte à une défense farouche. Les assauts échouent, la logistique est mauvaise, et les croisés sont harcelés par les renforts musulmans. Après quatre jours, les croisés se replient précipitamment. 

Cet échec est retentissant. Les barons d’Orient reprochent aux croisés d’Occident leur impréparation. Les tensions entre les Latins d’Orient et les croisés venus d’Europe s’exacerbent. La croisade touche à sa fin, sans résultat. 

 

IV. Les conséquences de la Deuxième croisade 

1. Pour l’Orient latin : perte de prestige et tensions internes 

La défaite du siège de Damas marque un tournant. Le prestige des royaumes latins est sérieusement écorné. La perte d’Édesse reste irréversible. Les divisions entre barons croisés et les seigneurs établis sur place affaiblissent encore davantage la position chrétienne. 

Certains chroniqueurs orientaux, comme Guillaume de Tyr, évoquent des rivalités politiques et des trahisons qui auraient contribué à l’échec. 

2. Pour l’Occident : désillusion et remise en cause 

Le retour des souverains croisés en Europe est marqué par la désillusion. Louis VII rentre en France avec son épouse Aliénor, mais leur relation est brisée. Le prestige royal est entamé. Conrad III, de son côté, meurt peu après. Bernard de Clairvaux est sévèrement critiqué pour avoir prêché une croisade qui s’est terminée dans le chaos. Il se défend en invoquant les péchés des croisés, mais l’image d’un échec spirituel est tenace. 

La croisade, censée être une œuvre sainte, a produit des divisions, des désastres militaires, et très peu de résultats. 

3. Réactions musulmanes : vers l’unification avec Nur ad-Din 

Après la mort de Zengi en 1146, son fils Nur ad-Din lui succède à Alep. Il reprend l’idée du djihad contre les Latins. L’échec des croisés renforce sa position. Il parvient à unir Alep et Damas en 1154, posant les bases d’un vaste front musulman. C’est lui qui prépare la voie à Saladin, qui lui succédera et reprendra Jérusalem en 1187. 

La Deuxième croisade, au lieu d’affaiblir les musulmans, a au contraire accéléré leur unification face aux Latins. 

4. Le début d’une nouvelle dynamique 

La croisade de 1147-1149 révèle les limites du modèle précédent : un appel du pape, une mobilisation religieuse, un voyage vers Jérusalem, et des résultats incertains. Les futures croisades seront plus centralisées, plus stratégiques, et mieux coordonnées avec les intérêts locaux. 

La Deuxième croisade, par son échec, devient un tournant : désormais, l’idée de croisade ne suffit plus à assurer la victoire. 

 

Conclusion 

La Deuxième croisade fut un échec militaire et politique, mais un moment essentiel dans l’histoire des croisades. Elle montre l’écart grandissant entre l’idéal chrétien porté par les prédicateurs et la réalité des conflits, des ambitions personnelles et des rivalités géopolitiques. 

Elle révèle également la montée en puissance du monde musulman face aux Latins. L’échec de 1148 annonce les difficultés croissantes que rencontreront les chrétiens d’Orient, jusqu’à la perte de Jérusalem en 1187. C’est cette perte qui provoquera la Troisième croisade, avec de nouveaux protagonistes majeurs comme Saladin, Richard Cœur de Lion et Frédéric Barberousse. 

Au final, la Deuxième croisade rappelle que la foi ne suffit pas sans stratégie, que l’unité chrétienne est fragile, et que la croisade est autant un fait militaire qu’un fait religieux, diplomatique et politique. 

La Troisième croisade (1189–1192) 

Introduction 

La Troisième croisade constitue l’un des épisodes les plus célèbres des croisades médiévales, non seulement en raison des événements militaires majeurs qui l’ont marquée, mais surtout à cause de ses protagonistes légendaires : Richard Cœur de Lion, Philippe Auguste, Frédéric Barberousse et, du côté musulman, Saladin. Elle est déclenchée en réponse à la chute de Jérusalem en 1187, événement qui provoque un immense choc dans tout l’Occident chrétien. Si la Deuxième croisade avait été un échec retentissant, cette troisième expédition prend une tout autre ampleur. Elle combine mobilisation militaire massive, rivalités politiques entre grandes puissances européennes, et affrontements titanesques entre chevalerie chrétienne et forces musulmanes unies sous une même bannière. 

 

I. Le contexte historique et les causes de la Troisième croisade 

1. L’unification du monde musulman sous Saladin 

Depuis la fin de la Deuxième croisade, les États latins d’Orient subsistent dans un climat d’incertitude. Le plus grand danger vient du nord et de l’est, où l’émir Nur ad-Din a réussi à unir Alep et Damas. À sa mort, son vizir en Égypte, Saladin (Ṣalāḥ ad-Dīn Yūsuf), prend progressivement le pouvoir dans l’ensemble du Proche-Orient musulman. 

Saladin parvient à unir l’Égypte, la Syrie, la Mésopotamie et le Hedjaz sous son autorité. Il relance l’idée du djihad contre les États croisés et se pose comme le défenseur de l’islam sunnite face aux Latins. Son ascension rapide, sa légitimité religieuse et son charisme personnel lui permettent de réunir une armée puissante. 

2. La bataille de Hattin et la perte de Jérusalem 

Le 4 juillet 1187, les armées de Saladin infligent une défaite catastrophique aux croisés lors de la bataille de Hattin, près du lac de Tibériade. Les forces franques, épuisées, encerclées et privées d’eau, sont écrasées. Le roi de Jérusalem, Guy de Lusignan, est capturé. La relique de la Vraie Croix est prise. 

Suite à cette victoire, Saladin lance une campagne fulgurante. Il prend Jérusalem le 2 octobre 1187, après un court siège. Contrairement à la prise de 1099, il permet aux chrétiens de quitter la ville contre rançon, sans massacre. Ce geste augmente son prestige en Occident comme en Orient. 

3. L’émotion en Occident 

La chute de Jérusalem provoque une onde de choc dans toute la chrétienté. C’est plus qu’une défaite militaire : c’est une humiliation spirituelle. L’indignation gagne les monastères, les chancelleries et les foules. De nombreuses voix appellent à une réaction immédiate. 

4. L’appel du pape Grégoire VIII 

Le pape Grégoire VIII publie la bulle Audita tremendi en octobre 1187, appelant à une nouvelle croisade. Il insiste sur la punition divine que représente la perte de Jérusalem et sur la nécessité d’un sursaut spirituel. L’élan religieux est renforcé par la prédication dans toute l’Europe. L’appel du pape trouve un écho immédiat chez les rois et empereurs d’Occident. 

 

II. Les grands protagonistes de la croisade 

1. Richard Cœur de Lion (Angleterre) 

Fils d’Aliénor d’Aquitaine et d’Henri II Plantagenêt, Richard devient roi d’Angleterre en 1189. Chevalier redoutable, passionné de guerre, il voit dans la croisade un devoir religieux mais aussi une opportunité politique. Charismatique, courageux, habile tacticien, il devient rapidement l’âme militaire de la croisade. Sa renommée atteint un niveau légendaire. 

2. Philippe Auguste (France) 

Le roi de France Philippe II Auguste, rival de Richard mais allié temporaire, rejoint la croisade dès 1189. Moins flamboyant que son homologue anglais, il est un roi méthodique, attentif à ses intérêts dynastiques. Sa participation à la croisade vise à renforcer sa stature politique face à ses vassaux et concurrents. 

3. Frédéric Barberousse (Saint-Empire) 

L’empereur Frédéric Ier Barberousse, déjà âgé (plus de 60 ans), répond avec ferveur à l’appel du pape. Roi puissant, il réunit une immense armée, estimée à plus de 100 000 hommes. Sa croisade est la mieux préparée sur le plan logistique. Son autorité impériale impressionne ses alliés et inquiète les Byzantins. 

4. Saladin, le sultan ayyoubide 

Figure incontournable, Saladin incarne l’unité musulmane. À la fois chef de guerre, homme d’État et symbole religieux, il concentre tous les espoirs du monde islamique. Son comportement chevaleresque et ses qualités stratégiques lui valent l’admiration même de ses adversaires. 

 

III. Le déroulement de la Troisième croisade 

1. Le départ de Frédéric Barberousse et sa mort tragique 

Frédéric part à la tête de son armée en 1189, traversant la Hongrie, les Balkans et l’Asie Mineure. Il négocie difficilement avec l’empereur byzantin Isaac II Ange, qui craint une invasion. 

Après plusieurs escarmouches avec les Turcs, Frédéric meurt tragiquement le 10 juin 1190, en tentant de traverser un fleuve en Cilicie. Sa mort provoque l’effondrement moral de son armée, dont une grande partie retourne en Allemagne. Seuls quelques contingents rejoignent la Terre sainte. La mort de Frédéric prive la croisade d’une colonne vertébrale impériale. 

2. Le voyage de Philippe Auguste et Richard d’Angleterre 

Philippe Auguste et Richard partent séparément par mer en 1190. Richard fait escale en Sicile, où il entre en conflit avec Tancrède de Lecce, le roi local. Il y reste six mois, renforçant son armée et sa flotte. 

Puis Richard se détourne vers Chypre, alors aux mains d’Isaac Comnène, un seigneur byzantin rebelle. Il s’empare de l’île en mai 1191, qu’il offre ensuite aux Templiers, puis à Guy de Lusignan. Cette conquête s’avérera essentielle pour la logistique croisée. 

Philippe arrive plus rapidement en Terre sainte et participe au siège de Saint-Jean-d’Acre, entamé depuis 1189 par les forces croisées. 

3. La prise de Chypre et la conquête de Saint-Jean-d’Acre 

Richard arrive à Acre en juin 1191. Grâce à son intervention décisive, la ville tombe le 12 juillet. C’est la première grande victoire chrétienne de la croisade. 

Mais le triomphe est entaché par des tensions entre Philippe et Richard. Le roi de France, malade, quitte la croisade peu après, laissant Richard seul aux commandes. La croisade devient dès lors "anglaise" dans sa direction. 

4. Les conflits entre croisés : rivalités franco-anglaises 

Les conflits de leadership minent la cohésion des croisés. La rivalité entre Guy de Lusignan et Conrad de Montferrat pour le trône de Jérusalem divise les barons. Richard soutient Guy, Philippe Conrad. Finalement, Conrad est élu roi, mais il est assassiné peu après (1192), dans des circonstances troubles. 

Ces tensions internes affaiblissent la croisade et l’empêchent d’avancer rapidement vers Jérusalem. 

5. Les batailles de la campagne côtière : Arsouf, Jaffa 

En août 1191, Richard mène ses troupes le long de la côte. Le 7 septembre, il affronte Saladin à Arsouf. La bataille est une victoire pour les croisés. Richard, maître dans l’art du combat, tient tête à la cavalerie musulmane. Ce succès permet aux croisés de reprendre Jaffa. 

En 1192, Saladin tente de reprendre Jaffa par surprise. Richard organise une défense héroïque, débarque en urgence et repousse les forces musulmanes. Cette action renforce encore son prestige. 

6. La tentative de reprendre Jérusalem : hésitations et échecs 

À deux reprises, les croisés s’approchent de Jérusalem, mais Richard refuse de lancer l’assaut. Les raisons sont multiples : manque d’eau, désaccords stratégiques, risque d’encerclement. Il craint aussi de ne pas pouvoir tenir la ville s’il la reprend. 

Ces hésitations marquent l’échec symbolique de la croisade : Jérusalem ne sera pas reprise. Pourtant, Richard mène la guerre avec brio sur d’autres fronts. 

 

IV. La paix entre Richard et Saladin 

1. Le traité de Jaffa (1192) 

Face à l’épuisement des deux camps, Richard et Saladin concluent une trêve de trois ans en septembre 1192 : 

  • Les croisés conservent la côte de Tyr à Jaffa. 

  • Les pèlerins chrétiens ont accès libre aux lieux saints de Jérusalem. 

  • Jérusalem reste sous autorité musulmane. 

Ce compromis, même s’il est un échec pour la reconquête, assure une certaine stabilité. Saladin et Richard se respectent mutuellement. Leur correspondance diplomatique est empreinte de courtoisie et d’admiration. 

2. Bilan militaire et politique 

Militairement, la croisade a été un succès partiel : les croisés ont repris plusieurs places fortes et consolidé leur position en Palestine. Mais l’objectif principal – reprendre Jérusalem – n’a pas été atteint. 

Politiquement, la croisade a révélé les fractures entre souverains chrétiens. Richard et Philippe, déjà rivaux, s’affrontent par vassaux interposés dès leur retour. Le royaume de Jérusalem reste affaibli, bien que maintenu. 

3. La situation à Jérusalem et la liberté des pèlerins 

Grâce au traité, les pèlerins latins peuvent de nouveau visiter les lieux saints. C’est une concession importante de la part de Saladin. Jérusalem reste musulmane, mais les chrétiens ne sont plus totalement exclus de la ville. 

 

V. Conséquences et héritage de la Troisième croisade 

1. Pour le royaume de Jérusalem et les États latins 

Le royaume de Jérusalem, privé de sa capitale, est déplacé à Acre. Il survit, mais reste menacé. Les forteresses côtières sont renforcées. L’île de Chypre devient un élément stratégique crucial pour les croisés, tenue par la dynastie des Lusignan. 

La croisade n’a pas sauvé l’Orient latin, mais elle a permis de le stabiliser. 

2. Pour les relations entre les rois d’Occident 

La croisade exacerbe les tensions politiques en Europe. Richard, fait prisonnier en route par l’empereur Henri VI, doit payer une énorme rançon. Philippe en profite pour renforcer son pouvoir en France. La rivalité anglo-française s’intensifie. 

La croisade, loin d’unir la chrétienté, révèle les ambitions concurrentes des puissances européennes. 

3. Pour l’Islam et l’image de Saladin 

Saladin sort de la croisade comme un héros. Il est respecté des chrétiens comme des musulmans. Sa mort en 1193 est pleurée par ses sujets. Il devient une figure légendaire, modèle de piété, de chevalerie et de souveraineté juste. 

Il consolide l’idée que l’unité du monde musulman est la clé pour résister aux Latins. 

4. Vers la Quatrième croisade : l’idéal croisé en mutation 

L’échec à reprendre Jérusalem pousse l’Église à organiser une nouvelle croisade dès le début du XIIIe siècle. Mais l’idéal croisé se transforme. La Quatrième croisade, détournée vers Constantinople, marquera une rupture avec l’orientation purement religieuse des premières expéditions. 

La Troisième croisade représente donc une charnière : le dernier grand élan de la croisade chevaleresque, avant les dérives et les manipulations politiques ultérieures. 

 

Conclusion 

La Troisième croisade fut un mélange complexe de victoires militaires, de défaites symboliques, de tensions politiques et de rencontres historiques. Elle n’a pas permis la reconquête de Jérusalem, mais elle a réaffirmé la puissance militaire de l’Occident, tout en consacrant la figure du héros musulman Saladin. 

Richard Cœur de Lion en sort glorifié, Saladin admiré, Philippe Auguste renforcé politiquement. Cette croisade cristallise les contradictions du mouvement : elle est à la fois une guerre sainte et une guerre de pouvoir. Elle a profondément marqué l’imaginaire occidental et musulman, donnant naissance à une mythologie durable autour de ses figures principales. 

Mais surtout, elle a scellé l’échec durable du projet de domination chrétienne sur Jérusalem. Dès lors, les croisades entreront dans une nouvelle phase : plus politique, plus désordonnée, moins religieuse. La Troisième croisade fut le dernier grand souffle de l’idéal croisé tel qu’il était né à Clermont en 1095. 

La Quatrième croisade (1202–1204) 

Introduction 

La Quatrième croisade est l’un des épisodes les plus controversés de l’histoire médiévale. Conçue à l’origine comme une expédition destinée à reprendre Jérusalem, elle se transforme en une attaque contre Constantinople, capitale de l’Empire byzantin chrétien. Ce bouleversement d’objectif, fruit d’une série de décisions politiques, de trahisons et d’opportunismes, marque un tournant radical dans l’histoire des croisades. Pour la première fois, une croisade est dirigée non pas contre les musulmans, mais contre d’autres chrétiens. Le sac de Constantinople en 1204 provoque un choc immense, ruine l’unité chrétienne et installe l’hostilité durable entre l’Orient orthodoxe et l’Occident catholique. La Quatrième croisade devient ainsi un symbole de la dérive des croisades, passant d’une entreprise spirituelle à une opération politique et militaire aux finalités douteuses. 

 

I. Le contexte et les préparatifs de la Quatrième croisade 

1. L’appel du pape Innocent III en 1198 

Après l’échec partiel de la Troisième croisade et la perte définitive de Jérusalem en 1187, les espoirs de la chrétienté sont en suspens. En 1198, le nouveau pape Innocent III, jeune et énergique, lance un appel à une nouvelle croisade. Son objectif est clair : reprendre Jérusalem et restaurer l’autorité chrétienne en Terre sainte. Il souhaite également renforcer la primauté de la papauté sur les souverains européens. 

Contrairement aux croisades précédentes, Innocent entend jouer un rôle central dans la préparation, l’organisation et la conduite de cette croisade. Il accorde les indulgences, nomme des légats pontificaux et lance une campagne de prédication dans toute l’Europe. 

2. La situation politique et religieuse en Europe 

L’Europe de la fin du XIIe siècle est marquée par des conflits dynastiques. Le roi d’Angleterre Richard Cœur de Lion meurt en 1199, et son successeur Jean sans Terre est politiquement affaibli. En France, Philippe Auguste renforce son autorité mais refuse de s’engager dans une nouvelle croisade. L’Empire germanique, divisé entre partisans de la maison de Welf et de Hohenstaufen, ne peut fournir d’aide significative. 

Dans ce contexte, ce sont des seigneurs secondaires, surtout français (Champagne, Flandre, Picardie), qui répondent à l’appel d’Innocent III. Parmi eux : Thibaut III de Champagne, Louis de Blois, Simon de Montfort, et surtout Boniface de Montferrat, qui devient chef militaire de la croisade après la mort de Thibaut en 1201. 

3. La mobilisation difficile et le rôle de Venise 

Les croisés décident de partir par mer, en passant par l’Égypte, considérée comme la clef stratégique pour reconquérir Jérusalem. Pour cela, ils concluent un contrat avec la République de Venise, en 1201. Les Vénitiens, dirigés par le doge aveugle Enrico Dandolo, s’engagent à construire et équiper une flotte pour transporter 33 500 hommes et chevaux. 

Mais en 1202, au moment du départ, seuls environ 12 000 croisés se présentent à Venise. Ils n’ont pas les 85 000 marcs d’argent promis pour payer la traversée. Les Vénitiens proposent alors un compromis : reporter le paiement à condition que les croisés les aident à reprendre Zara (Zadar), une ville rebelle de Dalmatie, chrétienne mais passée sous contrôle hongrois. 

4. Le contrat maritime et la déviation vers Zara 

Malgré l’interdiction du pape Innocent III d’attaquer une ville chrétienne, les croisés assiègent et prennent Zara en novembre 1202. C’est une première rupture majeure avec l’idéal de croisade. Innocent excommunie tous les croisés et les Vénitiens responsables, bien qu’il lèvera plus tard l’excommunication pour la majorité des croisés. 

À peine Zara conquise, un nouvel événement va changer le destin de la croisade : l’arrivée d’un prince byzantin en exil, Alexis Ange, qui va proposer aux croisés un marché aux conséquences historiques. 

 

II. La déviation de la croisade vers Constantinople 

1. Les promesses d’Alexis IV Ange 

Alexis Ange, fils de l’empereur byzantin déchu Isaac II, promet aux croisés monts et merveilles s’ils l’aident à reconquérir le trône de Constantinople : 

  • 200 000 marcs d’argent, 

  • la soumission de l’Église orthodoxe à Rome, 

  • l’envoi de troupes byzantines pour combattre en Terre sainte, 

  • le ravitaillement complet de la croisade. 

Ces promesses séduisent les croisés, endettés et indécis. Boniface de Montferrat a des intérêts personnels dans les Balkans, et les Vénitiens y voient l’occasion de prendre leur revanche sur Byzance, concurrente commerciale majeure. 

2. La situation intérieure de l’Empire byzantin 

L’Empire byzantin traverse une crise politique grave. L’empereur Alexis III a renversé son frère Isaac II en 1195. Son régime est perçu comme corrompu et inefficace. Le peuple est mécontent, l’armée affaiblie. Constantinople, bien que splendide, est vulnérable. 

L’appel à l’aide d’Alexis IV est accueilli avec méfiance à Rome, mais Innocent III, mal informé, n’empêche pas l’opération. 

3. L’arrivée des croisés à Constantinople en 1203 

En juin 1203, la flotte croisée mouille devant Constantinople. Les Byzantins, surpris, ne parviennent pas à organiser une défense efficace. En juillet, les croisés lancent un assaut. Alexis III prend la fuite sans combattre. 

Les croisés imposent le rétablissement d’Isaac II et de son fils Alexis IV sur le trône. Mais les Byzantins refusent de payer les sommes promises. Le peuple, humilié, rejette l’alliance avec les Latins. 

4. La prise de Constantinople (1203) et la trahison d’Alexis IV 

Alexis IV se révèle incapable de satisfaire les croisés et de contrôler la ville. En janvier 1204, une révolte éclate à Constantinople. Alexis IV et Isaac II sont déposés et exécutés. Un nouvel empereur, Alexis V Doukas, prend le pouvoir. 

Refusant de négocier avec les croisés, Alexis V tente de les repousser. En avril 1204, les croisés décident alors de prendre la ville de force, scellant la rupture totale entre Latins et Byzantins. 

 

III. Le sac de Constantinople (1204) 

1. Les tensions entre Byzantins et Latins 

Les Byzantins considèrent désormais les Latins comme des envahisseurs, non comme des alliés. Les croisés, humiliés, trahis, sans argent ni soutien, se convainquent que Dieu leur a abandonné la Terre sainte pour leur offrir Constantinople. 

L’hostilité religieuse entre orthodoxes et catholiques, déjà vive depuis le schisme de 1054, s’envenime. Le clergé latin justifie l’assaut par les "péchés" des Byzantins. 

2. L’assaut final et la chute de la ville 

Le 12 avril 1204, les croisés et les Vénitiens lancent l’assaut final. Ils franchissent les murailles, pénètrent dans la ville et livrent Constantinople au pillage. 

C’est un événement sans précédent : la capitale chrétienne de l’Orient, centre de la culture byzantine, tombe aux mains de chrétiens occidentaux. 

3. Les pillages et destructions 

Le sac de Constantinople dure trois jours. Les trésors impériaux, les reliques, les manuscrits, les icônes sont volés ou détruits. Des églises, y compris Sainte-Sophie, sont profanées. Des femmes sont violées, des habitants massacrés. Les croisés s’enrichissent outrageusement. 

De nombreuses œuvres d’art sont emportées à Venise, comme les célèbres chevaux de bronze qui ornent aujourd’hui la basilique Saint-Marc. 

Même à l’époque, cet événement choque : chroniqueurs latins et grecs dénoncent l’horreur du sac. Le scandale est immense. 

4. Le scandale et les réactions en Occident 

Innocent III, d’abord furieux, finit par accepter le fait accompli, voyant dans la conquête l’occasion d’imposer la primauté romaine sur les orthodoxes. Mais l’hostilité entre les deux Églises devient irréversible. Pour les Byzantins, les croisés ne sont plus des frères, mais des barbares sacrilèges. 

 

IV. La création de l’Empire latin de Constantinople 

1. Partage de l’Empire byzantin entre les croisés 

Après la prise de la ville, les croisés se partagent l’Empire selon le partitio Romaniae : 

  • Venise obtient une grande partie des ports et îles stratégiques (Crète, Égée, Corfou). 

  • Les croisés reçoivent des territoires en Grèce, Thrace, Asie Mineure. 

  • Le trône impérial est offert à Baudouin de Flandre, proclamé empereur latin de Constantinople en mai 1204. 

2. Le couronnement de Baudouin de Flandre 

Baudouin est couronné dans Sainte-Sophie. Il devient le premier empereur latin. L’idée est de créer un empire catholique d’Orient. Des barons francs s’installent en Grèce (royaume de Thessalonique, principauté d’Achaïe). 

Mais la structure est fragile : les croisés sont peu nombreux, la population grecque leur est hostile, et les ressources sont insuffisantes. 

3. La résistance grecque (Nicée, Épire, Trébizonde) 

Rapidement, des États grecs de résistance se forment : 

  • L’Empire de Nicée, fondé par Théodore Lascaris, 

  • Le despotat d’Épire, en Grèce occidentale, 

  • L’Empire de Trébizonde, sur la mer Noire. 

Ces entités poursuivent l’idéal byzantin et refusent l’autorité latine. Elles reconstituent lentement un pouvoir orthodoxe. 

4. Les faiblesses et la fin de l’Empire latin (1261) 

L’Empire latin est confronté à la résistance grecque, à des révoltes, à l’hostilité bulgare. Baudouin est capturé par les Bulgares en 1205 et meurt en captivité. Son successeur Henri de Flandre tente de maintenir l’édifice, mais sans succès durable. 

En 1261, l’Empire de Nicée reprend Constantinople. Michel VIII Paléologue restaure l’Empire byzantin. L’Empire latin disparaît, vaincu par ceux qu’il avait voulu remplacer. 

 

V. Conséquences de la Quatrième croisade 

1. Pour l’Église : rupture entre Latins et Byzantins 

La prise de Constantinople marque une cassure définitive entre catholiques et orthodoxes. Les Byzantins ne pardonneront jamais ce sac. L’unité chrétienne voulue par Innocent III est détruite. Le schisme de 1054 devient irréversible. 

La croisade, censée unir les chrétiens contre l’islam, aboutit à une guerre entre chrétiens. 

2. Pour l’Orient : fragmentation du monde byzantin 

L’Empire byzantin, affaibli, ne retrouvera jamais sa puissance passée. La mosaïque de petits États grecs ou latins affaiblit la résistance à l’expansion turque future. Constantinople est meurtrie, pillée, sa population traumatisée. 

Les puissances occidentales, notamment Venise, gagnent en influence en Méditerranée orientale. 

3. Pour la croisade : perte de légitimité spirituelle 

La croisade a perdu son sens initial : elle ne vise plus Jérusalem, mais des objectifs politiques, économiques et territoriaux. Elle devient un instrument des ambitions des puissances laïques. La Quatrième croisade est vue comme une trahison de l’idéal chrétien. 

Le terme de "croisade" en sort affaibli : les croisades suivantes seront détournées ou redéfinies. 

4. Héritage : un tournant des croisades vers l’Occident 

Dès lors, les croisades s’orienteront de plus en plus vers d’autres cibles : l’Espagne (Reconquista), les cathares (Albigeois), les païens baltes. La Terre sainte n’est plus au centre. La croisade devient un outil au service du pouvoir. 

 

Conclusion 

La Quatrième croisade, entreprise religieuse dévoyée, reste un événement central du XIIIe siècle. Elle incarne la rupture entre l’idéal spirituel des premières croisades et la réalité des ambitions politiques, commerciales et territoriales. La prise de Constantinople, ville chrétienne, par des croisés catholiques, demeure une tache dans l’histoire de la chrétienté. 

Elle marque la fin de l’unité chrétienne, affaiblit durablement Byzance, enrichit Venise, et change le visage de l’Europe orientale. Elle annonce aussi la transformation du projet croisé, de plus en plus éloigné de sa vocation religieuse. 

La Quatrième croisade est ainsi une victoire militaire… mais une défaite morale. 

La Cinquième croisade (1217–1221) 

Introduction 

La Cinquième croisade s’inscrit dans un contexte nouveau : après l’échec moral et politique de la Quatrième croisade, qui avait détourné la croisade de Jérusalem pour attaquer Constantinople, la chrétienté latine cherche à redonner à l’idée de croisade sa légitimité spirituelle. Sous l’impulsion du pape Innocent III, la croisade est recentrée sur son objectif premier : la reconquête des lieux saints, en particulier Jérusalem, toujours sous domination musulmane depuis sa reprise par Saladin en 1187. Mais cette fois, une stratégie différente est adoptée : au lieu d’attaquer directement la Terre sainte, l’Occident décide de frapper l’Égypte, considérée comme le cœur militaire et économique du sultanat ayyoubide. 

Malgré des débuts prometteurs, notamment la prise de la ville de Damiette, la Cinquième croisade se termine par un échec cuisant. Elle incarne les tensions croissantes entre autorité religieuse et commandement militaire, les erreurs stratégiques et logistiques de l’Occident, et les limites de l’idéal croisé au XIIIe siècle. 

 

I. Le contexte de la Cinquième croisade 

1. Le rôle du pape Innocent III puis d’Honorius III 

Le pape Innocent III (1198–1216) est l’un des plus puissants de l’histoire de la papauté. Il cherche à restaurer la moralité de l’Église, à affirmer la supériorité du spirituel sur le temporel et à relancer l’idéal de croisade. Il convoque en 1215 le IVe concile du Latran, l’un des plus importants conciles œcuméniques, qui fixe l’organisation de la cinquième croisade : départ en 1217, commandement pontifical, interdiction de tout détournement d’objectif. 

Innocent III meurt en 1216, et son successeur Honorius III poursuit son projet. Il nomme le cardinal Pélage comme légat en Orient, avec autorité religieuse sur l’ensemble de l’expédition. 

2. La stratégie nouvelle : attaquer l’Égypte 

Depuis la reconquête de Jérusalem par Saladin, les croisés ont compris que la Palestine ne peut être reprise sans s’attaquer à la puissance ayyoubide. L’Égypte est perçue comme la clé du monde islamique : riche, peuplée, stratégique. 

La croisade visera donc Damiette, ville située sur une branche du Nil, au nord-est du delta. En prenant Damiette, les croisés espèrent pouvoir négocier Jérusalem, voire poursuivre vers Le Caire. 

3. La prédication et la mobilisation européenne 

La prédication est confiée aux ordres mendiants naissants (franciscains, dominicains) et aux clercs proches du pape. Elle rencontre un certain succès, bien que l’enthousiasme soit moindre qu’au temps d’Urbain II. 

Des contingents partent de Hongrie, d’Allemagne, de France, des Pays-Bas et d’Italie. Le roi André II de Hongrie participe personnellement à l’expédition. Jean de Brienne, roi titulaire de Jérusalem (par son mariage), y joue un rôle essentiel. 

4. Les alliances et la participation des royaumes européens 

L’empereur Frédéric II, couronné roi des Romains en 1212, avait promis de participer à la croisade. Mais ses engagements politiques en Sicile et en Allemagne l’empêchent de partir à temps. Son absence pèsera lourd sur le déroulement de l’expédition. 

L’Espagne, engagée dans la Reconquista, participe peu. L’Angleterre, en crise sous Jean sans Terre, est absente. La France, sous Philippe Auguste, se concentre sur ses conflits avec l’Angleterre. 

 

II. Le déroulement de la croisade 

1. Le départ des armées européennes (1217) 

En 1217, les premiers contingents arrivent en Terre sainte, à Saint-Jean-d’Acre. Jean de Brienne, André II de Hongrie et Léopold VI d’Autriche mènent plusieurs opérations en Galilée et autour de Césarée, mais sans grand succès stratégique. 

Les croisés se rendent compte rapidement que le front palestinien est trop bien défendu. La décision est donc prise de frapper Damiette, en Égypte. En 1218, les troupes commencent à affluer vers la ville portuaire. 

2. La prise de Damiette (1218–1219) 

Le siège de Damiette dure plus d’un an. La ville est protégée par une grande chaîne de fer tendue sur le Nil et une tour fortifiée centrale. L’ingéniosité des croisés et le courage de leurs soldats permettent, après de violents combats, de s’emparer de la tour et de briser la chaîne. 

En novembre 1219, Damiette tombe enfin. C’est une victoire majeure. Les croisés la considèrent comme une récompense divine. Les portes de l’Égypte sont ouvertes. Certains proposent d’avancer immédiatement vers Le Caire. 

Mais le cardinal Pélage, légat du pape, refuse. Il souhaite attendre l’arrivée de renforts, notamment celle annoncée de Frédéric II. Les tensions entre le clergé et les chefs militaires s’exacerbent. 

3. L’arrivée de Jean de Brienne et des légats du pape 

Jean de Brienne, roi titulaire de Jérusalem, est un chevalier expérimenté. Il plaide pour une action rapide. Mais Pélage, investi d’une autorité spirituelle, refuse de lui accorder le commandement suprême. Les ordres religieux (Templiers, Hospitaliers) se divisent également sur la stratégie à adopter. 

Le camp croisé, installé à Damiette, souffre de la chaleur, des maladies et de la mauvaise intendance. L’inaction devient une faute stratégique majeure. 

4. La proposition de paix du sultan al-Kâmil 

Le sultan ayyoubide al-Kâmil, frère de feu Saladin, est en difficulté. Il propose aux croisés un accord étonnant : il leur offrirait Jérusalem, Bethléem et d’autres lieux saints, en échange de l’évacuation de Damiette et d’une paix durable. 

Jean de Brienne est prêt à accepter. Mais Pélage refuse catégoriquement, estimant qu’il faut reprendre Jérusalem non par traité, mais par les armes. L’offre est rejetée. 

Cette décision est aujourd’hui considérée comme une erreur diplomatique majeure. Elle privera les croisés d’une victoire durable et pacifique. 

 

III. L’expédition vers Le Caire et le désastre 

1. L’inondation du Nil et les erreurs stratégiques 

En juillet 1221, Pélage, pensant que les conditions sont réunies, ordonne une marche vers Le Caire. L’armée croisée quitte Damiette et suit la rive du Nil. 

Mais les Egyptiens, maîtrisant parfaitement le terrain, ouvrent les digues du fleuve. Le Nil déborde, engloutit les routes et piège les croisés dans une plaine inondée, privée de ravitaillement. 

L’armée croisée, affamée, malade, cernée par les troupes musulmanes, entre en déroute. Pélage ordonne une retraite désespérée. 

2. L’échec de l’expédition sur Le Caire 

L’armée croisée est harcelée, décimée, incapable de contre-attaquer. Le désastre est complet. Jean de Brienne tente de négocier un repli honorable. 

Le sultan al-Kâmil accepte une trêve, à condition que Damiette soit restituée. Pélage, qui avait refusé Jérusalem deux ans plus tôt, est contraint d’abandonner la seule conquête de la croisade. 

3. La retraite et la perte de Damiette 

Le 8 septembre 1221, les croisés rendent Damiette et évacuent l’Égypte. La croisade est officiellement terminée. C’est un échec stratégique, diplomatique et spirituel. 

L’armée croisée retourne à Acre, puis en Europe. Le pape Honorius III est profondément déçu. Frédéric II, resté en Italie, est blâmé pour son absence. 

4. Le retour des croisés en Europe 

Les croisés retournent chez eux dans la honte ou l’indifférence. Peu d’entre eux rapportent des butins ou des honneurs. Le prestige de l’Église, des ordres militaires, et des papes s’en trouve affaibli. 

Seule l’expérience acquise en Égypte servira de leçon pour les croisades suivantes. Le Levant, quant à lui, reste sous contrôle musulman. 

 

IV. Conséquences de la Cinquième croisade 

1. Un échec militaire, malgré une victoire initiale 

La prise de Damiette avait montré que l’Égypte pouvait être vulnérable. Mais l’incapacité à exploiter cette victoire ruina tous les espoirs. L’erreur stratégique de marcher sur Le Caire au mauvais moment transforma une croisade prometteuse en un désastre. 

2. Les leçons tirées par l’Église et les États latins 

L’Église comprend que la direction militaire d’une croisade ne peut être assurée par le clergé seul. Le cardinal Pélage est critiqué pour son obstination. La nécessité d’un commandement unifié, compétent, s’impose désormais. 

Frédéric II, très critiqué pour son absence, promet de partir lui-même pour une nouvelle croisade. Ce sera la Sixième croisade, qu’il mènera personnellement, avec un tout autre style. 

3. L’impact sur les relations entre Orient et Occident 

Les musulmans, en particulier les Ayyoubides, sortent renforcés de cette victoire. Le prestige d’al-Kâmil augmente, et l’unité relative du monde islamique est préservée. 

Les Latins d’Orient, eux, perdent confiance dans l’Europe. Le royaume de Jérusalem, réduit à quelques ports, vit dans la précarité. 

4. La préparation des futures croisades 

L’échec de la Cinquième croisade pousse les papes à repenser l’organisation des croisades. L’idée de recourir à la négociation diplomatique plutôt qu’à la conquête militaire émerge lentement. 

C’est cette orientation que Frédéric II exploitera, en parvenant à récupérer Jérusalem en 1229 sans combat, par traité. 

 

Conclusion 

La Cinquième croisade marque un moment charnière dans l’histoire des croisades. Elle commence sous les auspices d’un grand projet pontifical, organisé et ambitieux, mais se termine dans le désordre, les conflits de commandement et les désillusions. 

Elle révèle les tensions entre le pouvoir religieux et le pouvoir militaire, l’incapacité de l’Occident à s’adapter au contexte oriental, et les limites du fanatisme stratégique. En refusant un accord avantageux pour des raisons idéologiques, les croisés ont sacrifié une victoire possible. 

Cette croisade met en lumière l’essoufflement du modèle des grandes croisades populaires et féodales, au profit de croisades plus ciblées, diplomatiques ou locales. Si elle n’a pas changé le destin de la Terre sainte, elle a profondément influencé les réflexions stratégiques et ecclésiologiques de l’Occident chrétien. 

 

 

La Sixième croisade (1228–1229) 

Une croisade sans guerre, entre diplomatie et excommunication 

 

Introduction 

La Sixième croisade représente un tournant décisif dans l’histoire des expéditions chrétiennes en Orient. Contrairement aux précédentes croisades, cette expédition ne fut pas marquée par de grandes batailles ni par des sièges spectaculaires, mais par une victoire diplomatique. Ce fut une croisade menée par un empereur excommunié, sans le soutien du pape, sans combat majeur, et pourtant couronnée par la restitution pacifique de Jérusalem aux chrétiens. Cette croisade unique est à l’image de son instigateur : Frédéric II de Hohenstaufen, empereur du Saint-Empire romain germanique, roi de Sicile, et l’un des souverains les plus complexes et fascinants du XIIIe siècle. 

Alors que la croisade traditionnelle semblait s’essouffler après l’échec de la Cinquième croisade, Frédéric imposa une nouvelle approche : la diplomatie, les alliances avec l’ennemi, et le refus de l’ingérence pontificale. Si cette stratégie permit de reprendre Jérusalem, elle provoqua de vives réactions en Occident. Était-ce encore une croisade au sens sacré du terme ? Ou le détournement définitif de l’idéal chrétien initial ? 

 

I. Le contexte de la Sixième croisade 

1. Le rôle de la papauté et la pression sur Frédéric II 

Après l’échec de la Cinquième croisade (1217–1221), le pape Honorius III cherche un nouveau chef pour relancer l’effort chrétien. Il se tourne vers Frédéric II, roi de Sicile et empereur élu en 1212, couronné en 1220. Frédéric avait déjà promis à plusieurs reprises de partir en croisade, notamment lors de son couronnement impérial. 

Le pape place de grands espoirs en lui : Frédéric dispose de ressources importantes, d’une base logistique en Méditerranée, et d’une autorité politique considérable. Mais les engagements sont sans cesse repoussés. 

2. Les retards répétés de Frédéric et son excommunication 

Frédéric II repousse son départ à plusieurs reprises, prétextant des troubles en Italie, la défense de ses royaumes ou des raisons de santé. Ce comportement irrite profondément le pape, qui y voit une trahison. Finalement, Grégoire IX, successeur d’Honorius III en 1227, décide d’agir. 

Lorsque Frédéric retarde à nouveau son départ en 1227 après une tentative avortée (maladie à Brindisi), le pape l’excommunie le 29 septembre 1227, avant même qu’il ait pu réellement embarquer. Cette excommunication change profondément la nature de la croisade à venir. 

3. La situation en Terre sainte et en Égypte 

À cette époque, le sultan al-Kâmil, neveu de Saladin, règne sur l’Égypte. Il cherche à renforcer sa position face à ses rivaux de Syrie et à éviter une nouvelle croisade. Il avait déjà proposé à la Cinquième croisade la restitution de Jérusalem — offre refusée à l’époque par le légat pontifical Pélage. 

Le royaume latin de Jérusalem est quant à lui affaibli, réduit à quelques ports sur la côte, comme Acre. La présence franque en Orient dépend du soutien intermittent de l’Occident. 

4. L’état du royaume de Jérusalem 

Frédéric II a épousé en 1225 Isabelle de Brienne, héritière du royaume de Jérusalem. Par cette union, il revendique le titre de roi de Jérusalem, ce qui lui confère une légitimité directe sur les territoires latins d’Orient. Mais ce royaume est morcelé, affaibli, politiquement divisé, et gouverné depuis Acre, loin de sa capitale spirituelle. 

 

II. Frédéric II : un empereur à part 

1. Portrait politique et intellectuel de Frédéric II 

Frédéric II (1194–1250), surnommé le Stupor Mundi ("la stupeur du monde"), est une figure exceptionnelle du Moyen Âge. Polyglotte, cultivé, grand mécène des sciences et des arts, il entretient à sa cour une atmosphère intellectuelle unique, où cohabitent chrétiens, juifs et musulmans. Il entretient une profonde admiration pour la civilisation islamique. 

Empereur du Saint-Empire et roi de Sicile, il gouverne un espace méditerranéen multiconfessionnel. Sa vision du pouvoir est absolutiste et impériale, en rivalité directe avec celle du pape. 

2. Ses ambitions impériales et méditerranéennes 

Frédéric veut faire de la Méditerranée un espace d’influence impériale. Sa croisade n’est pas seulement religieuse : elle est aussi politique. En tant que roi de Jérusalem par son mariage, il entend affirmer sa domination sur la Terre sainte, affaiblir les barons francs locaux et écarter l’ingérence papale. 

3. Sa vision des croisades : diplomatie et realpolitik 

Frédéric se distingue par une vision pragmatique : plutôt que de lancer une expédition militaire incertaine, il préfère la négociation. Il sait qu’al-Kâmil, menacé en Syrie, pourrait accepter un compromis. Cette approche, nouvelle dans l’histoire des croisades, choque les milieux ecclésiastiques, attachés à l’idée de guerre sainte. 

4. Relations complexes avec le pape Grégoire IX 

Grégoire IX voit en Frédéric un danger mortel : un empereur qui défie l’Église, traite avec les musulmans, et refuse de se plier à l’autorité pontificale. Leur relation est un affrontement politique autant que religieux. Le pape condamne la croisade avant même son départ, interdisant aux fidèles d’y participer sous peine d’excommunication. 

 

III. Le déroulement de la Sixième croisade (1228–1229) 

1. Le départ de Frédéric II malgré son excommunication 

Malgré son excommunication, Frédéric décide de partir en croisade en juin 1228, avec une petite armée de fidèles. Il débarque à Chypre, puis gagne Acre à l’automne. Il n’est pas accueilli en héros : les autorités ecclésiastiques lui sont hostiles, les barons francs le regardent avec méfiance. 

Frédéric, en tant qu’excommunié, ne peut participer aux cérémonies religieuses. Il refuse néanmoins de renoncer à son projet. 

2. L’accueil à Saint-Jean-d’Acre et les tensions locales 

Acre est alors dirigée par une oligarchie marchande et militaire. Les Templiers et Hospitaliers refusent d’obéir à Frédéric. Les barons locaux craignent une mainmise impériale. Frédéric impose son autorité par la diplomatie et quelques démonstrations de force, mais il ne cherche pas la confrontation militaire. 

Il entame alors une politique de contacts directs avec les musulmans. 

3. Les négociations avec le sultan al-Kâmil d’Égypte 

Frédéric entre en négociation avec al-Kâmil, dont il connaît bien les intérêts. Le sultan, préoccupé par les menaces venant de Syrie (notamment son frère al-Mu'azzam), préfère éviter un conflit ouvert. Les deux hommes échangent des ambassades, des cadeaux, des lettres courtoises. 

Le 18 février 1229, un traité est signé à Jaffa : 

  • Jérusalem est rendue aux chrétiens, ainsi que Bethléem, Nazareth et une route d’accès au port d’Acre. 

  • Les lieux saints musulmans (notamment la mosquée al-Aqsa) restent sous administration islamique. 

  • Un statu quo est établi entre les deux puissances pour dix ans. 

Frédéric réussit là où des armées entières avaient échoué : reprendre Jérusalem sans verser de sang. 

4. Le traité du 18 février 1229 : Jérusalem rendue sans combat 

Le traité est une victoire personnelle de Frédéric, mais aussi une humiliation pour le pape et l’idéologie de croisade fondée sur la guerre. Il prouve que la négociation est possible, mais soulève un malaise : peut-on célébrer une croisade sans guerre, menée par un excommunié ? 

 

IV. Les conséquences immédiates 

1. Le couronnement symbolique de Frédéric à Jérusalem 

Le 17 mars 1229, Frédéric entre seul dans Jérusalem. Dans l’église du Saint-Sépulcre, il pose lui-même la couronne sur sa tête, faute de clergé pour le couronner. Le geste est fort, mais aussi révélateur de l’isolement de Frédéric. Le clergé le boude, l’enthousiasme est faible. 

Malgré tout, Jérusalem est chrétienne à nouveau, au moins pour un temps. 

2. La réaction du pape et de l’Église 

Grégoire IX rejette le traité. Il refuse de reconnaître les gains obtenus par un empereur qu’il considère comme hérétique. En Italie, pendant que Frédéric est en Orient, le pape soutient des révoltes contre le pouvoir impérial. Frédéric doit rentrer précipitamment en 1229 pour rétablir son autorité. 

Son retour rapide en Italie affaiblit la position latine en Orient. 

3. Les critiques et soutiens à Frédéric 

Les moines et chroniqueurs ecclésiastiques condamnent Frédéric : il est accusé d’avoir trahi la foi, d’avoir "acheté" Jérusalem, de s’être compromis avec les infidèles. Mais d’autres, notamment les partisans de l’empire, voient en lui un homme de paix, un souverain éclairé. 

Dans le monde musulman, Frédéric est respecté, voire admiré. Al-Kâmil et lui partagent un langage diplomatique commun. 

4. La situation du royaume de Jérusalem restauré 

Frédéric nomme des gouverneurs fidèles dans les villes rendues. Mais son départ, les divisions internes, et la fragilité militaire des positions franques empêchent toute consolidation durable. 

Jérusalem restera chrétienne jusqu’en 1244, date à laquelle elle sera reprise par les Khwarezmiens, alliés aux Ayyoubides. 

 

V. Bilan et portée de la Sixième croisade 

1. Une croisade sans guerre : succès ou trahison ? 

La Sixième croisade défie toutes les définitions traditionnelles : 

  • Frédéric était excommunié ; 

  • il a négocié avec les musulmans ; 

  • il n’a pas versé de sang ; 

  • il a "reconquis" Jérusalem. 

Certains y voient une trahison de l’idéal ; d’autres un modèle de réalisme politique. 

2. L’efficacité de la diplomatie face à la guerre sainte 

La croisade de Frédéric démontre qu’une autre voie est possible : celle du dialogue, de la diplomatie pragmatique, de la reconnaissance mutuelle. Son succès, bien que temporaire, interroge le dogme de la guerre sacrée imposée par la papauté. 

3. Une croisade à contre-courant de l’idéologie pontificale 

Le pape ne dirige pas cette croisade : il la condamne. Frédéric affirme que l’empereur est égal ou supérieur au pape dans les affaires spirituelles. La Sixième croisade est aussi un manifeste politique contre la théocratie pontificale. 

4. L’influence durable sur les stratégies croisées 

Frédéric II anticipe une transformation profonde : les croisades du XIIIe siècle seront souvent menées avec des objectifs politiques cachés. Les alliances avec des puissances musulmanes deviennent courantes. La guerre sainte devient moins pure, plus tactique. 

 

Conclusion 

La Sixième croisade demeure une anomalie brillante dans l’histoire des croisades : une croisade sans croisade, un succès sans gloire, une victoire sans bataille. Elle fut menée par un empereur hors du commun, Frédéric II, qui préférait la science à la violence, la négociation au fanatisme. 

Son résultat : la récupération pacifique de Jérusalem, fut temporaire mais réel. Il prouva qu’il était possible d’agir autrement que par la guerre. Pourtant, son geste fut rejeté par une Église incapable d’accepter un succès qui ne venait pas d’elle. 

Frédéric, figure ambivalente, réformatrice et hérétique, incarne à lui seul les tensions du XIIIe siècle : entre Orient et Occident, entre empire et papauté, entre foi et raison. 

La Sixième croisade fut la dernière à rendre Jérusalem chrétienne. Ce fut aussi le chant du cygne d’un certain idéalisme croisé. 

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La Septième croisade (1248–1254) 
Louis IX, la foi au cœur de la guerre sainte 
 
Introduction 
La Septième croisade, menée par le roi de France Louis IX, marque un moment fort de l’histoire des croisades, non seulement par son ampleur logistique, mais surtout par la personnalité de son chef. Contrairement aux souverains plus pragmatiques ou politiciens des croisades précédentes, Louis IX agit par foi sincère et profonde conviction religieuse. Pourtant, cette expédition ambitieuse, dirigée contre l’Égypte, se solde par un désastre militaire : l’échec de l’offensive sur Mansourah, la capture du roi, puis une longue période de stagnation politique en Orient. Cette croisade, malgré son échec stratégique, contribue à construire le mythe du roi saint et à illustrer les derniers feux de l’idéal croisé. 
 
I. Le contexte historique de la Septième croisade 
1. La chute de Jérusalem et l’appel à la croisade 
En 1244, Jérusalem, alors aux mains des chrétiens depuis le traité de 1229 conclu par Frédéric II, est prise par les Khwarezmiens, alliés des Ayyoubides. La ville est pillée, les chrétiens massacrés ou chassés. Cet événement suscite une grande émotion en Occident. C’est le signal d’alarme : Jérusalem est à nouveau perdue, et les États latins d’Orient sont menacés d’effondrement. 
Le pape Innocent IV, élu en 1243, relance aussitôt l’idée d’une nouvelle croisade. Mais peu de souverains répondent à l’appel. 
2. Le règne de Louis IX : piété, pouvoir, diplomatie 
Le roi de France Louis IX, couronné en 1226, gouverne un royaume puissant, stable et prospère. Éduqué dans une foi intense par sa mère Blanche de Castille, Louis incarne l’idéal du roi chrétien. Malade en 1244, il fait vœu, s’il guérit, de partir en croisade pour libérer la Terre sainte. 
Sa décision, prise en 1245, est personnelle et irrévocable. Contrairement à d’autres souverains, il ne part ni par ambition, ni sous pression du pape, mais par dévotion. 
3. La préparation logistique et spirituelle 
La croisade est soigneusement préparée : rassemblement des forces à Aigues-Mortes, mobilisation de la flotte, réquisitions de vivres, choix des commandants (notamment Robert d’Artois, frère du roi). Louis prend soin de s’entourer d’aumôniers, de médecins, de juristes. 
L’expédition est aussi une entreprise spirituelle. Le roi impose une discipline morale stricte à ses troupes. Il organise une véritable liturgie militaire, avec prières, confessions, jeûnes. 
4. Le choix de l’Égypte comme cible stratégique 
Comme pour la Cinquième croisade, l’Égypte est choisie comme première cible. Elle est considérée comme le cœur du pouvoir musulman. Le sultan ayyoubide d’Égypte, as-Salih Ayyub, est affaibli par des conflits internes. En frappant Damiette, les croisés espèrent négocier la restitution de Jérusalem. 
 
II. Le déroulement de la croisade 
1. Le départ de Louis IX et l’arrivée à Chypre (1248) 
La flotte croisée quitte Aigues-Mortes à l’été 1248. Louis est accompagné de ses frères (Robert d’Artois, Alphonse de Poitiers, Charles d’Anjou), de nombreux chevaliers français et de contingents étrangers. 
Les croisés hivernent à Chypre, où ils préparent l’assaut contre l’Égypte. Ils y établissent des contacts avec les ordres militaires (Templiers, Hospitaliers), présents en Orient. 
2. Le débarquement à Damiette (1249) 
En juin 1249, les croisés débarquent avec succès près de Damiette. L’armée musulmane panique, et la ville tombe sans combat majeur. C’est une première victoire éclatante. Louis établit un campement fortifié à Damiette, où il attend la crue du Nil avant de marcher vers le sud. 
Louis refuse de se précipiter. Il souhaite sécuriser ses arrières et organiser l’expédition vers Le Caire avec soin. 
3. Les premières victoires et l’enthousiasme 
Les troupes chrétiennes, confiantes, avancent lentement vers Mansourah, ville fortifiée sur le Nil. Le roi souhaite maintenir la discipline et éviter les erreurs de la Cinquième croisade. 
Le moral est bon, les approvisionnements assurés, et l’armée est encore en bon état. Louis dirige personnellement les opérations. 
4. L’expédition vers Mansourah : piège mortel 
Le 8 février 1250, les croisés parviennent à franchir une branche du Nil près de Mansourah. Mais l’armée ayyoubide, dirigée par le sultan as-Salih, est prête. Les musulmans laissent les croisés s’avancer, puis les attaquent dans une ruelle étroite. 
Robert d’Artois, impatient, lance une charge prématurée et se fait massacrer avec la fine fleur de la chevalerie française. Les croisés sont encerclés. Le combat tourne à la boucherie. Louis, resté en arrière, tente de stabiliser la situation, mais l’offensive sur Le Caire est stoppée. 
 
III. La défaite et la captivité 
1. La bataille de Mansourah et la mort de Robert d’Artois 
La défaite de Mansourah est un coup terrible. L’élite militaire est décimée. Les survivants reculent en désordre. L’armée est épuisée, démoralisée, et les épidémies se déclarent dans le camp croisé. Le rêve de libérer Jérusalem semble s’éloigner. 
Louis, frappé par la mort de son frère, refuse néanmoins d’abandonner. Il tente de tenir ses positions. 
2. La maladie dans l’armée croisée 
La chaleur, la stagnation des eaux, la mauvaise hygiène provoquent des épidémies. La dysenterie et le scorbut ravagent les troupes. Le roi lui-même tombe malade, et son entourage craint pour sa vie. 
L’armée croisée se transforme en un camp de souffrance. Les renforts n’arrivent pas, et les alliances espérées (notamment avec les Mongols) ne se concrétisent pas. 
3. La capture de Louis IX (avril 1250) 
En avril, lors d’une tentative désespérée de repli, Louis IX est capturé avec plusieurs de ses chevaliers. C’est un événement sans précédent : un roi chrétien prisonnier en terre musulmane. 
Le sultan décédé peu avant a été remplacé par des mamelouks, anciens esclaves soldats devenus les véritables maîtres de l’Égypte. Ces derniers négocient avec prudence : la vie du roi vaut cher. 
4. La rançon et l’évacuation de Damiette 
Louis IX accepte de payer une énorme rançon (800 000 livres tournois) et de rendre Damiette en échange de sa libération. Les croisés évacuent la ville. 
Louis est libéré le 6 mai 1250, affaibli mais déterminé. Alors que tous s’attendent à son retour en France, il prend une décision inattendue : rester en Orient. 
 
IV. Louis IX en Orient (1250–1254) 
1. La décision de rester en Terre sainte 
Louis choisit de s’installer à Acre, capitale des États latins d’Orient. Il y reste quatre ans, s’efforçant de consolider la présence franque, malgré les échecs récents. 
Son choix est dicté par la foi, mais aussi par le sens des responsabilités : il considère que son devoir n’est pas de fuir, mais de réparer ce qui peut l’être. 
2. Les réformes et fortifications 
Durant son séjour, Louis réorganise les défenses de l’Orient latin. Il fait renforcer Saint-Jean-d’Acre, Jaffa, Césarée, Sidon. Il soutient les ordres militaires, rétablit les hôpitaux et organise les vivres. 
Il agit plus en administrateur qu’en conquérant, mais il donne une structure plus solide aux dernières possessions chrétiennes en Orient. 
3. Les tentatives diplomatiques 
Louis entame des négociations avec les Mongols, espérant une alliance contre les musulmans. Il envoie des ambassades, reçoit des émissaires, mais sans grand succès. Les Mongols poursuivent leur propre agenda, et leur brutalité choque même les croisés. 
Il tente aussi de renouer un dialogue avec les Ayyoubides restants en Syrie, mais le pouvoir musulman passe peu à peu aux mains des mamelouks, plus intransigeants. 
4. Le retour en France 
En 1254, après quatre années d’efforts, Louis rentre en France, laissant une garnison en Orient. Il retrouve un royaume bien gouverné par sa mère Blanche de Castille, mais affaibli par les dépenses de la croisade. 
 
V. Bilan et portée de la Septième croisade 
1. Un échec militaire, une victoire morale ? 
La Septième croisade est un échec stratégique : elle n’a pas libéré Jérusalem, ni affaibli durablement l’islam, ni consolidé la position chrétienne en Égypte. La capture du roi fut un traumatisme. Cependant, l’attitude de Louis IX, son humilité dans la défaite, sa piété constante, impressionnent ses contemporains. 
Il sort de la croisade auréolé d’une stature spirituelle nouvelle. 
2. Le rayonnement spirituel de Louis IX 
Louis devient peu à peu un modèle de roi chrétien : juste, humble, pieux, fidèle à ses promesses. Son comportement en captivité, sa fidélité à l’idéal croisé, sa patience sont célébrés. Après sa mort, il sera canonisé en 1297 par le pape Boniface VIII. 
Sa croisade, bien que perdue, contribue à sa légende sacrée. 
3. L’impact sur l’Orient latin 
Malgré la défaite, le séjour prolongé de Louis permet de stabiliser les États latins pendant quelques années. Les forteresses consolidées serviront jusqu’en 1291. Mais la perte de Damiette, les pertes humaines et financières affaiblissent durablement la capacité offensive des croisés. 
L’Orient latin est sur la défensive. 
4. Vers la Huitième croisade 
Louis, malgré tout, ne renonce pas. En 1270, il lancera une huitième croisade, dirigée contre Tunis, où il mourra. Ce sera le dernier grand acte croisé de la monarchie capétienne. 
 
Conclusion 
La Septième croisade incarne toute la tension entre foi et politique qui caractérise les dernières croisades. Louis IX agit en croisé par conviction intime, sans ambition politique ni calcul stratégique. Son expédition échoue sur le plan militaire, mais elle laisse une empreinte morale et religieuse profonde. 
Louis devient le symbole d’un idéal croisé pur, dans un monde où la croisade est de plus en plus instrumentalisée par les États. Son échec montre aussi que l’Occident ne peut plus imposer sa volonté en Orient. La supériorité stratégique des mamelouks, l’unité musulmane, la difficulté de la logistique orientale rendent les croisades traditionnelles obsolètes. 
La Septième croisade marque donc le crépuscule de l’idéalisme croisé, et annonce un lent retrait de la chrétienté d’Orient, bientôt scellé par la chute d’Acre en 1291 
 
La Huitième croisade (1270) 
Le dernier souffle de l’idéal croisé capétien 
 
Introduction 
La Huitième croisade, déclenchée en 1270 par Louis IX, dit Saint Louis, constitue le dernier grand sursaut de l’Occident chrétien pour tenter de reprendre pied durablement en Terre sainte. Elle marque l’ultime tentative d’un roi capétien pour relancer une croisade à l’échelle continentale, mais aussi un moment de rupture : cette expédition, mal préparée, mal orientée, avortée dès son débarquement en Afrique du Nord, illustre la perte d’efficacité et de sens des croisades traditionnelles au XIIIe siècle. La mort de Louis IX devant les murs de Tunis, frappé par la maladie et non par l’épée, devient le symbole d’un idéal croisé épuisé, dans un monde méditerranéen en pleine recomposition. 
 
I. Les motivations de la Huitième croisade 
1. Le rêve inaccompli de Louis IX 
Louis IX revient de la Septième croisade en 1254, après six années passées en Orient. Bien qu’elle se soit soldée par un échec militaire (défaite à Mansourah, capture du roi), cette expédition a profondément marqué le souverain. En France, Louis poursuit une politique intérieure axée sur la paix, la réforme judiciaire et la piété. Mais il reste hanté par l’échec de sa précédente croisade. 
Le roi vieillit, mais son désir de retourner en Terre sainte grandit avec l’âge. Il voit dans cette nouvelle expédition un moyen de racheter ses fautes, de mener à bien son vœu de croisé, et de mourir en terre de combat sacré. À partir de 1267, il prépare activement une nouvelle expédition. 
2. L’évolution du monde musulman : mamelouks et Hafsides 
Depuis 1250, le pouvoir en Égypte est passé aux mamelouks, redoutables soldats esclaves devenus souverains. Sous leur commandement, les musulmans remportent des victoires décisives, notamment la reprise d’Acre et d’autres villes franques. 
Au Maghreb, la dynastie hafside règne sur Tunis. Son sultan, al-Mustansir, entretient des liens économiques avec les Italiens et certains souverains chrétiens. On lui attribue parfois une disposition favorable à une éventuelle conversion au christianisme, rumeur incertaine mais qui circulait en Occident. 
3. Les enjeux politiques en Méditerranée occidentale 
La croisade vers la Palestine devient de plus en plus difficile à organiser. La route est longue, les États latins affaiblis, l’Égypte imprenable. Louis IX fait alors le choix inattendu de frapper Tunis, au cœur du Maghreb. Plusieurs raisons justifient ce choix : 
  • Couper les routes d’approvisionnement musulmanes ; 
  • Établir une base pour de futures opérations vers l’Égypte ; 
  • Convertir, ou soumettre, un souverain potentiellement pro-chrétien ; 
  • Satisfaire les ambitions de Charles d’Anjou, roi de Sicile et frère de Louis, qui veut renforcer son influence en Méditerranée. 
4. La stratégie de Louis : frapper Tunis 
Le choix de Tunis est critiqué à l’époque comme aujourd’hui. Ce n’est pas un lieu saint, ni une menace immédiate pour les États latins d’Orient. Mais Louis considère qu’une base en Afrique du Nord pourrait préparer une reconquête progressive de Jérusalem. 
Il lance la préparation logistique d’une expédition vers l’Afrique, sans en faire un projet continental. Peu de souverains répondent à son appel. Louis embarque en 1270, âgé de 56 ans, malgré l’opposition de certains de ses conseillers. 
 
II. La préparation de la croisade 
1. La logistique et l’appel aux princes 
La croisade est préparée avec rigueur : rassemblement de la flotte à Aigues-Mortes, mobilisation de troupes dans tout le royaume, approvisionnement en vivres, chevaux, outils de siège. Louis impose à son armée une discipline morale stricte. 
Seuls quelques princes répondent à l’appel : ses fils, notamment Philippe le Hardi, héritier du trône ; Charles d’Anjou, frère du roi, et d’autres barons capétiens. D’autres grands souverains, comme le roi d’Angleterre ou les rois d’Allemagne, ne participent pas. 
2. Le rôle des fils du roi et des alliés (Charles d’Anjou) 
Charles d’Anjou, roi de Sicile depuis 1266, est un acteur clé. Ambitieux, autoritaire, il veut transformer la Méditerranée en un "lac angevin", sous domination française. Il pousse Louis à choisir Tunis, où il espère étendre son influence commerciale et politique. 
Les fils de Louis, notamment Philippe, participent aussi à la croisade. Philippe est encore jeune, et sa croisade constitue aussi une forme d’initiation politique. 
3. La position du pape Clément IV 
Le pape Clément IV, ancien conseiller de Louis, soutient prudemment la croisade. Mais il reste en retrait, préférant observer l’évolution de la situation. Il ne mobilise pas l’ensemble de la chrétienté, ni ne prêche une croisade continentale. 
L’Église accorde l’indulgence aux participants, mais sans en faire une priorité universelle. 
4. La traversée vers l’Afrique 
La flotte croisée quitte Aigues-Mortes au printemps 1270. Elle fait escale en Sicile, puis traverse la Méditerranée. En juillet, elle atteint les côtes de Tunis, où les croisés débarquent sans opposition. 
Louis établit un campement fortifié près de Carthage, dans une région marécageuse, en plein été. 
 
III. Le débarquement à Tunis et le drame 
1. L’arrivée de la flotte croisée 
Le débarquement à Tunis est un succès technique. La flotte est bien organisée, l’armée disciplinée. Le sultan hafside ne s’oppose pas militairement à l’invasion. Il choisit une attitude attentiste, espérant l’épuisement des croisés. 
Les croisés s’installent, fortifient leur camp, organisent l’approvisionnement. Mais la chaleur et les marécages créent rapidement des problèmes sanitaires. 
2. Les premières escarmouches et négociations 
Des combats sporadiques ont lieu avec les troupes musulmanes. Mais aucune bataille décisive n’est engagée. Le sultan de Tunis commence à négocier, espérant un règlement diplomatique. 
Louis, fidèle à sa foi, refuse tout compromis qui ne mènerait pas à la conversion ou à une soumission totale. Il reste intransigeant. 
3. La maladie dans le camp chrétien 
L’été tunisien, les eaux stagnantes, le manque d’hygiène provoquent rapidement une épidémie de dysenterie et de typhus. Les soldats meurent par centaines. Les aumôniers et médecins sont débordés. 
Louis IX tombe malade dès le début août. Il refuse de quitter le camp, de boire de l’eau de source "non bénie", et continue de jeûner. Il s’affaiblit très vite. 
4. La mort de Louis IX (25 août 1270) 
Le 25 août 1270, après plusieurs jours d’agonie, Louis IX meurt dans son camp, couché sur un lit de cendre, les bras en croix. Ses dernières paroles seraient : "Jerusalem, Jerusalem…" 
La mort du roi provoque un choc immense. L’armée perd son chef, son âme. Philippe le Hardi devient roi de France sur le champ, mais il est encore jeune et peu expérimenté. 
 
IV. La fin de la croisade et son échec 
1. La reprise du commandement par Charles d’Anjou 
Charles d’Anjou, plus énergique, prend le contrôle des opérations. Il négocie immédiatement avec le sultan de Tunis un traité de paix. Il ne cherche pas la victoire militaire, mais un accord favorable à ses intérêts. 
Ce traité permet à Charles d’assurer des avantages commerciaux pour la Sicile, le paiement d’un tribut annuel, et la liberté de culte pour les chrétiens dans l’Empire hafside. 
2. Le traité avec les Hafsides 
Le traité signé peu après la mort de Louis met fin à la croisade. Aucune conversion, aucun territoire conquis. La seule réussite : des avantages économiques pour les Angevins, une paix fragile, et la libération des prisonniers. 
Pour la plupart des croisés, c’est une honte : mourir pour cela, sans Jérusalem, sans combat, sans victoire ? La croisade se termine dans la déception. 
3. Le retour des croisés en France 
L’armée croisée rembarque peu à peu. Beaucoup sont morts de maladie. Le corps de Louis IX est ramené en France, d’abord en Sicile, puis en Provence, enfin à Saint-Denis. 
Philippe le Hardi retourne à Paris, marqué par la mort de son père et les échecs de la croisade. Il gouvernera avec prudence, sans jamais tenter de nouvelle croisade. 
4. Les réactions en Europe 
La mort de Louis IX suscite une immense émotion dans tout l’Occident. Le roi, déjà considéré comme un saint de son vivant, est immédiatement vénéré. Des récits de miracles se multiplient. Il est canonisé en 1297 par Boniface VIII. 
Mais sur le plan politique, la croisade est vue comme un échec. Les souverains chrétiens ne croient plus à l’efficacité de ces expéditions. L’idéal croisé semble mort. 
 
V. Conséquences de la Huitième croisade 
1. La canonisation de Louis IX 
Louis IX devient Saint Louis. Il est le seul roi de France canonisé. Son image est reprise dans tout l’Occident comme modèle du roi chrétien : juste, pieux, humble, fidèle à ses promesses. Il devient le patron des croisés, bien que ses deux croisades aient échoué. 
Ses reliques sont vénérées, notamment à la Sainte-Chapelle, édifice emblématique de la royauté sacrée. 
2. Le déclin définitif des grandes croisades 
La mort de Louis clôt l’époque des grandes croisades royales. Aucun autre roi d’Occident ne mènera de croisade à grande échelle après 1270. Les motivations religieuses cèdent la place aux intérêts politiques. 
La croisade devient un outil pape-centré, utilisé contre les hérétiques ou les ennemis du Saint-Siège, mais perd son aura universelle. 
3. La situation du royaume de Jérusalem 
Le royaume de Jérusalem ne bénéficie en rien de cette croisade. Les forteresses franques sont de plus en plus isolées. En 1291, Saint-Jean-d’Acre tombera, marquant la fin définitive de la présence latine en Terre sainte. 
La Huitième croisade est donc un échec stratégique, et l’Orient chrétien est abandonné. 
4. La clôture d’un cycle : vers la fin des États latins d’Orient 
L’échec de la Huitième croisade annonce la fin de l’aventure franque en Orient. Les États latins, mal défendus, divisés, cernés par des ennemis puissants, ne résistent plus. 
Les Européens se tournent alors vers la Méditerranée occidentale, l’Espagne, les Balkans, ou le commerce avec les puissances musulmanes. La croisade devient une mémoire, plus qu’une réalité. 
 
Conclusion 
La Huitième croisade est un échec militaire et politique, mais elle devient une victoire spirituelle dans l’imaginaire chrétien. Louis IX, mort à Tunis, incarne l’ultime figure du roi croisé, pur, désintéressé, prêt à donner sa vie pour la foi. Sa mort marque la fin d’une époque. 
La croisade, née à Clermont en 1095 comme une guerre sainte destinée à libérer Jérusalem, s’achève sans combat majeur, sur une plage d’Afrique du Nord, face à un adversaire prêt à négocier. L’idéal est brisé, les temps ont changé. 
Après 1270, les croisades se réduiront à des expéditions secondaires, des défenses locales, ou des croisades politiques. L’Orient latin est condamné. Saint Louis est mort, et avec lui, le rêve d’un royaume chrétien universel en Terre sainte. 
 
La Neuvième croisade (1271–1272) 
Le dernier souffle de la chrétienté en Terre sainte 
 
Introduction 
La Neuvième croisade, lancée entre 1271 et 1272 par Édouard d’Angleterre, futur roi Édouard Ier, constitue la dernière expédition croisée de la période classique des croisades. Venue après la mort de Louis IX lors de la Huitième croisade, cette entreprise apparaît comme un ultime effort désespéré pour maintenir la présence chrétienne en Terre sainte. Malgré la détermination du jeune prince anglais et une certaine efficacité tactique, la croisade échoue à renverser le rapport de force. 
L’expédition d’Édouard n’a pas l’ampleur des grandes croisades précédentes. Elle illustre un monde chrétien désuni, fatigué, et désormais incapable de mobiliser massivement pour défendre les États latins d’Orient. Cette croisade tardive apparaît ainsi comme le chant du cygne de l’idéologie croisée médiévale, peu avant la chute définitive d’Acre en 1291. 
 
I. Le contexte de la Neuvième croisade 
1. Le monde chrétien après la mort de Saint Louis 
En 1270, Louis IX meurt à Tunis, emporté par la maladie au cours de la Huitième croisade. Cet événement provoque un profond désarroi parmi les croisés. Sa mort brise l’élan d’unité et de foi que le roi incarnait depuis la Septième croisade. Les rois d’Europe, désormais préoccupés par des conflits locaux ou par la consolidation de leurs États, ne souhaitent plus s’engager dans des aventures militaires lointaines. 
La croisade n’est plus une priorité des cours européennes. Seuls quelques princes, comme Édouard d’Angleterre, gardent un espoir de sauver les États latins d’Orient. 
2. L’affaiblissement des États latins d’Orient 
Les territoires chrétiens en Terre sainte sont de plus en plus réduits, isolés et divisés. Le royaume de Jérusalem, sans capitale réelle depuis la perte de la ville sainte en 1244, se limite à quelques ports côtiers, comme Acre, Tyr, Tripoli ou Jaffa. La noblesse franque locale est fragmentée, les barons sont en conflit, et les ordres militaires (Templiers, Hospitaliers, Teutoniques) agissent parfois de manière indépendante. 
Cette faiblesse structurelle rend les États latins extrêmement vulnérables. 
3. Les avancées mameloukes 
Les mamelouks, qui ont pris le pouvoir en Égypte en 1250, sont désormais la force dominante au Proche-Orient. Dirigés par le sultan Baybars, redoutable stratège et politique, ils poursuivent une campagne systématique contre les possessions chrétiennes. Ils reprennent une à une les places fortes franques, organisent des incursions meurtrières, et exploitent les divisions internes des croisés. 
Baybars ne se contente pas de défendre l’islam : il veut éradiquer la présence franque d’Orient. 
4. L’engagement du prince Édouard d’Angleterre 
Dans ce contexte, le prince Édouard, fils du roi Henri III d’Angleterre, décide de prendre la croix en 1268. Âgé d’une vingtaine d’années, il incarne une nouvelle génération de nobles désireux de prouver leur valeur. Il forme un contingent modeste mais bien équipé, avec des chevaliers anglais, quelques barons gascons, et le soutien du roi de Sicile Charles d’Anjou. 
Édouard voit cette croisade comme une mission de foi, mais aussi comme un moyen de renforcer son autorité et d’acquérir un prestige politique avant de monter sur le trône. 
 
II. Le départ et l’arrivée en Terre sainte (1271) 
1. La participation limitée des souverains européens 
La Neuvième croisade souffre d’un isolement politique. Aucun grand roi ne la soutient directement. En France, Philippe III est encore jeune et affaibli par la mort de son père. L’Empire est instable. Le pape Grégoire X, bien qu’en faveur de la croisade, ne parvient pas à mobiliser l’ensemble des chrétiens. 
Édouard part presque seul, avec une expédition modeste, sans l’appui militaire des puissances du continent. 
2. Le voyage d’Édouard et de ses chevaliers 
En printemps 1271, Édouard quitte la Sicile et rejoint les côtes de la Palestine. Il débarque à Acre, où il est accueilli par les quelques autorités chrétiennes locales. Son arrivée suscite de l’espoir chez les défenseurs du royaume de Jérusalem, mais aussi de la prudence : son contingent est trop faible pour espérer renverser les mamelouks. 
Édouard s’installe à Acre, étudie la situation locale, prend contact avec les barons francs et les ordres militaires. 
3. La situation à Acre et la stratégie d’intervention 
La ville d’Acre est le centre névralgique du royaume latin, mais elle est menacée de toutes parts. Édouard comprend rapidement qu’une grande campagne offensive est impossible. Il adopte donc une stratégie de raids, visant à affaiblir les positions musulmanes locales et à renforcer les fortifications chrétiennes. 
Il tente également de gagner du temps, espérant que d’autres princes viendront le rejoindre, ou que des alliances pourront être nouées avec d’autres puissances. 
4. Les premières escarmouches 
Édouard organise plusieurs attaques contre les forces mameloukes, notamment dans la région de Nazareth et de Qaqun. Ses troupes infligent des pertes à l’ennemi et parviennent à repousser certaines incursions. 
Ces succès tactiques renforcent momentanément la sécurité des enclaves chrétiennes. Mais ils ne sont pas suffisants pour modifier l’équilibre stratégique. 
 
III. La campagne d’Édouard en Terre sainte 
1. L’appui aux seigneurs latins 
Édouard agit en protecteur des barons francs, mais aussi en arbitre des tensions internes. Il tente de réconcilier les factions rivales, de coordonner l’action des ordres militaires, et de rétablir une forme d’unité chrétienne. 
Il joue également un rôle diplomatique important en négociant avec les arméniens de Cilicie et les chrétiens de Syrie. 
2. Les affrontements contre les troupes mameloukes 
Malgré sa faiblesse numérique, Édouard lance plusieurs raids audacieux contre les mamelouks. Il surprend plusieurs garnisons, attaque des convois, et défend avec succès certaines positions chrétiennes. 
Cependant, Baybars, maître des forces musulmanes, refuse la confrontation directe. Il adopte une stratégie d’usure, sabordant les puits, coupant les vivres, et attendant le départ des croisés. 
3. Les négociations avec les Mongols 
Édouard tente une alliance avec les Mongols, notamment avec le khan Abaqa, chef des Ilkhanides de Perse. Il espère que les Mongols, ennemis des mamelouks, ouvriront un second front. Des ambassades sont échangées, et les Mongols promettent une action conjointe. 
Cependant, l’aide mongole reste très limitée. Une incursion a lieu en Syrie, mais elle ne dure que quelques semaines. L’alliance ne change pas le cours du conflit. 
4. L’attentat contre Édouard et sa convalescence 
En juin 1272, un assassin musulman, envoyé par Baybars ou un autre émir, tente de tuer Édouard dans sa tente. Il le blesse avec un poignard empoisonné. Le prince parvient à tuer son agresseur, mais il est gravement atteint. 
La blessure menace de s’infecter. Des médecins l’opèrent, parfois dans des conditions brutales (des récits parlent d’amputation évitée de justesse). Édouard survit, mais il comprend que son expédition est compromise. 
 
IV. Le retour en Angleterre et la fin de la croisade 
1. La décision d’Édouard de rentrer 
Apprenant la mort de son père Henri III, Édouard décide de quitter la Terre sainte pour rejoindre l’Angleterre. Il quitte Acre en septembre 1272, après une présence de près de 18 mois. Il rentre lentement en Europe, et ne sera couronné roi qu’en 1274. 
Son départ marque la fin de la Neuvième croisade. 
2. La situation en Orient après son départ 
Les croisés restants sont livrés à eux-mêmes. Les ordres militaires assurent encore la défense de quelques forteresses. Mais les ressources manquent, les troupes diminuent, et les villes franques tombent une à une. 
Aucun autre souverain ne viendra. Le royaume latin de Jérusalem est condamné à disparaître. 
3. La fin de la présence latine en Terre sainte (1291) 
En 1291, les mamelouks lancent l’ultime assaut contre Acre, dernière grande ville chrétienne. La ville tombe après un siège sanglant. Les survivants fuient à Chypre. C’est la fin définitive des États latins d’Orient fondés lors de la Première croisade. 
La prise d’Acre est le symbole de l’échec final des croisades militaires. 
4. L’échec du soutien occidental 
L’Occident, absorbé par ses propres conflits (guerres en Italie, rivalités franco-anglaises, luttes contre l’Empire), ne répond plus aux appels de croisade. Les papes prêchent encore la croisade, mais sans succès. L’élan collectif s’est dissipé. 
La croisade devient une idée vide, un souvenir glorieux, mais inadapté aux réalités politiques du temps. 
 
V. Bilan et portée de la Neuvième croisade 
1. Une croisade marginale mais symbolique 
La Neuvième croisade n’a pas l’ampleur des expéditions précédentes. Elle est courte, limitée, isolée. Mais elle conserve une valeur symbolique : Édouard, en représentant une nouvelle génération de croisés, tente une dernière fois de sauver les restes de la chrétienté en Orient. 
C’est une croisade de résistance, plus que de conquête. 
2. La figure d’Édouard, entre croisade et politique dynastique 
Édouard revient auréolé d’un certain prestige. Son courage, sa piété, son engagement sont loués. Il incarne l’idéal chevaleresque dans un monde en mutation. Son expérience en Orient marquera son règne en Angleterre : il y développe une politique centralisatrice, autoritaire, et un intérêt durable pour la diplomatie internationale. 
3. La fin des croisades au sens classique 
La Neuvième croisade marque la fin de l’ère des croisades militaires royales. Aucun autre roi ne partira personnellement en Terre sainte après 1272. Les croisades ultérieures se concentreront sur : 
  • La Reconquista en Espagne ; 
  • Les guerres contre les hérétiques (Albigeois, Hussites) ; 
  • Les conflits politiques masqués en croisades. 
La dimension spirituelle et universelle des croisades se dissipe. 
4. La mutation de l’idée de croisade au XIVe siècle 
Au XIVe siècle, l’idée de croisade évolue : 
  • Le pape l’utilise comme instrument politique ; 
  • Les ordres militaires (Hospitaliers, Teutoniques) s’adaptent ; 
  • Les États européens privilégient des guerres nationales (Angleterre contre France, guerres d’Italie). 
La croisade devient une mémoire plutôt qu’une action. 
 
Conclusion 
La Neuvième croisade fut la dernière étincelle de la chrétienté médiévale en Orient. Elle ne renversa pas la situation, ne sauva pas les États latins, ne libéra pas Jérusalem. Mais elle symbolise la persistance d’un idéal, incarné par un jeune prince anglais, dans un monde désormais hostile, fragmenté et désabusé. 
Après 1272, la croisade telle qu’elle avait été rêvée en 1095 par Urbain II n’a plus de place dans le monde géopolitique en mutation. La chute d’Acre en 1291 refermera définitivement le chapitre de l’Orient latin. 
La Neuvième croisade est donc l’épilogue d’une épopée de deux siècles, pleine de gloire, de violence, d’illusions et de tragédies. Elle marque le passage du Moyen Âge des croisades à celui des royaumes modernes, où les rêves de Jérusalem laissent place aux réalités du pouvoir. 
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