GUERRE FOLLE
Voici donc un récit historique complet et continu de 5000 mots sur la Guerre Folle en Bretagne (1487-1488), rédigé dans un style clair, structuré et fidèle aux faits, sans appareil critique.
La Guerre Folle en Bretagne (1487-1488)
À la fin du XVe siècle, la Bretagne apparaît comme l’un des derniers grands États féodaux indépendants d’Europe occidentale. Alors que la France, l’Angleterre et l’Espagne s’acheminent vers la centralisation monarchique, le duché breton conserve une autonomie jalousement défendue. Cette indépendance, héritée d’un long passé, repose sur des institutions solides, une noblesse fière et un souverain soucieux de préserver ses droits. Mais cette situation est aussi précaire : les ambitions des rois de France, les divisions internes et les ambitions personnelles de certains seigneurs rendent inévitable le conflit.
C’est dans ce contexte que surgit la Guerre Folle, dernier sursaut de la féodalité bretonne et ultime tentative pour maintenir la souveraineté du duché face à la puissance croissante de la monarchie française.
I. La Bretagne à la veille du conflit
En 1480, la Bretagne est dirigée par le duc François II, homme cultivé, de tempérament conciliant, mais vieillissant. Son duché, prospère et peuplé d’environ 1,3 million d’habitants, demeure une principauté distincte de la France, bien qu’elle en soit théoriquement vassale. Le duc frappe monnaie, nomme ses officiers, entretient des ambassades, et sa cour, installée tantôt à Nantes, tantôt à Vannes ou à Rennes, brille d’un grand éclat.
Pourtant, sous cette apparente stabilité, le duché souffre de faiblesses structurelles. La noblesse bretonne, puissante et jalouse de ses prérogatives, s’oppose fréquemment au pouvoir ducal. Les finances sont fragiles, les impôts mal perçus, et la défense du territoire repose sur des troupes souvent insuffisantes. Surtout, la succession du duc, qui n’a pas d’héritier mâle, inquiète tout le monde : ses deux filles, Anne et Isabeau, deviennent des pièces maîtresses dans le grand jeu des alliances européennes.
Face à cette situation, la monarchie française, qui sort renforcée du règne de Louis XI, observe avec attention. Louis XI avait, par sa politique patiente et rusée, brisé la plupart des grandes principautés féodales : la Bourgogne, la Picardie, la Normandie sont revenues à la Couronne. La Bretagne apparaît comme le dernier bastion d’une Europe féodale en voie de disparition.
II. La régence d’Anne de Beaujeu et les mécontentements féodaux
À la mort de Louis XI en 1483, son fils Charles VIII, âgé de treize ans, monte sur le trône. La régence est confiée à sa sœur aînée, Anne de France, épouse de Pierre de Beaujeu, dite Anne de Beaujeu. Femme énergique, politique habile, elle s’attache à poursuivre la politique de son père : affermir l’autorité royale, contenir la noblesse et maintenir l’ordre dans le royaume.
Mais une partie de l’aristocratie, frustrée par les restrictions imposées sous Louis XI, rêve de reprendre son ancienne influence. Des princes du sang, tels Louis II d’Orléans (futur Louis XII), François de Rohan, Louis d’Albret, et Jean de Chalon, se liguent contre la régente. Leur mouvement, qui veut briser la centralisation monarchique, prend racine dans une nostalgie de l’indépendance féodale. La Bretagne, encore autonome, devient pour eux un refuge et un appui possible.
François II de Bretagne, qui voit dans cette agitation l’occasion de renforcer sa propre position, offre l’asile à ces grands seigneurs rebelles. En accueillant Louis d’Orléans et les mécontents, il fait un choix lourd de conséquences : la régente Anne de Beaujeu considère ce geste comme une provocation et une menace directe contre l’unité du royaume.
III. Les prémices de la Guerre Folle
La tension monte à partir de 1485. Des négociations s’engagent entre la cour de France et le duc de Bretagne, mais François II refuse de livrer les rebelles. Dans le même temps, il tente d’élargir ses alliances à l’étranger : il sollicite le roi d’Angleterre Henri VII, les souverains d’Espagne Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille, ainsi que Maximilien d’Autriche, futur empereur du Saint-Empire.
Cette diplomatie active alarme la régente française. Pour la France, il n’est pas question de tolérer sur ses frontières un État indépendant qui traiterait avec ses ennemis traditionnels. Les menaces de guerre se précisent.
L’opposition n’est pas seulement politique : elle est aussi idéologique. D’un côté, la monarchie française, centralisée, s’appuie sur des juristes et des administrateurs formés à l’idée d’un État unifié. De l’autre, les seigneurs bretons et leurs alliés défendent une conception féodale du pouvoir, fondée sur l’autonomie des grands et la multiplicité des loyautés. Cette opposition entre l’ordre monarchique moderne et le monde féodal ancien donne à la Guerre Folle sa signification profonde.
IV. L’éclatement du conflit (1487)
Au début de 1487, les préparatifs militaires s’accélèrent. La France rassemble ses troupes sous le commandement du prince de La Trémoille, capitaine expérimenté et fidèle à la régente. De son côté, François II mobilise la noblesse bretonne et engage des mercenaires étrangers — Anglais, Gascons, Flamands, Allemands — payés à grand frais.
En mai, les Français franchissent la frontière et envahissent la Bretagne par le sud. Les premières opérations sont rapides et méthodiques. Vannes, Auray et Ploërmel tombent les unes après les autres. La campagne se déroule avec une efficacité remarquable : l’armée royale, mieux encadrée et disciplinée, contraste avec les troupes bretonnes, bigarrées et indisciplinées.
Le siège de Nantes, capitale du duché, devient l’épisode central de cette première phase. La ville, défendue par les partisans du duc et de sa jeune fille Anne, âgée d’à peine onze ans, résiste farouchement. Les habitants participent eux-mêmes à la défense, réparant les murailles, coupant les ponts, lançant des attaques nocturnes.
Après plusieurs semaines de siège infructueux, les Français doivent se retirer. Cette résistance courageuse redonne espoir aux Bretons, mais ne change pas le rapport de forces : la France reste en position de supériorité.
V. L’internationalisation du conflit
Encouragé par le succès de Nantes, François II relance sa diplomatie. Il obtient des promesses d’aide de l’Angleterre, de l’Espagne et du Saint-Empire. Mais ces puissances ont leurs propres préoccupations : Henri VII vient à peine de s’imposer sur le trône anglais et ne veut pas risquer une guerre ouverte contre la France ; Isabelle et Ferdinand poursuivent la conquête de Grenade ; Maximilien d’Autriche, engagé dans les affaires des Pays-Bas, ne peut envoyer que quelques troupes.
Ainsi, la Bretagne ne reçoit qu’un soutien limité : quelques centaines d’archers anglais, des contingents allemands et flamands, et des navires espagnols. Ces secours, bien que réels, ne suffisent pas à compenser la puissance française.
Dans le même temps, les nobles rebelles qui avaient trouvé refuge en Bretagne poursuivent leurs intrigues. Louis d’Orléans, notamment, nourrit l’espoir d’épouser Anne de Bretagne pour réunir le duché à ses propres possessions. Mais cette perspective effraie François II, qui veut conserver la main sur le choix du mariage de sa fille. Les tensions internes affaiblissent encore le camp breton.
VI. Les campagnes de 1488 et la marche vers la défaite
En 1488, la régente Anne de Beaujeu décide d’en finir. Elle mobilise une armée considérable — environ 15 000 hommes, composée de cavalerie, d’artillerie et d’infanterie. Le commandement est confié à Louis II de La Trémoille et à Philippe de Crèvecœur d’Esquerdes, deux capitaines aguerris.
La campagne commence au printemps. Les Français prennent successivement Châteaubriant, Redon, Ancenis, et avancent vers le nord. Les Bretons, mal organisés, peinent à opposer une résistance coordonnée. François II tente de regrouper ses forces autour de Fougères, mais la discipline manque. Les contingents étrangers se comportent en pillards, irritant la population locale, tandis que les nobles bretons se disputent le commandement.
C’est dans ce climat de désunion que se prépare la bataille décisive.
VII. La bataille de Saint-Aubin-du-Cormier (28 juillet 1488)
Le 28 juillet 1488, les deux armées se rencontrent sur le plateau de Saint-Aubin-du-Cormier, près de Rennes. Les Bretons, sous les ordres du maréchal de Rieux et de d’Albret, comptent environ 11 000 hommes : nobles bretons, troupes anglaises, mercenaires allemands, archers flamands. L’armée française, mieux organisée, aligne près de 15 000 soldats, dont une forte artillerie.
Le combat s’engage tôt dans la journée. Les Bretons, confiants dans leur nombre, lancent plusieurs charges de cavalerie. Mais la supériorité tactique des Français fait la différence : leurs canons et leurs arbalétriers désorganisent les rangs adverses. La Trémoille manœuvre habilement, feignant la retraite pour attirer la cavalerie ennemie dans un piège.
Lorsque les Bretons tentent de rompre le centre français, ils sont pris à revers et enveloppés. La bataille tourne au désastre.
En quelques heures, l’armée ducale est écrasée. Les pertes sont terribles : plus de 5 000 morts du côté breton, contre environ 1 500 du côté français. De nombreux chefs tombent sur le champ de bataille : Louis de Rohan, Alain de Saint-Pierre, Jean de Rieux sont tués ou faits prisonniers.
La victoire française est totale. Saint-Aubin-du-Cormier marque la fin militaire de la résistance bretonne. La route de Rennes et de Nantes est ouverte ; le duché est à la merci du roi.
VIII. Le traité du Verger et la mort de François II
Après la défaite, François II n’a d’autre choix que de négocier. Le traité du Verger, signé le 19 août 1488, impose des conditions humiliantes :
-
Le duc s’engage à ne plus traiter avec les puissances étrangères sans l’accord du roi de France ;
-
Il doit renvoyer tous les seigneurs rebelles réfugiés en Bretagne ;
-
Enfin, et surtout, il promet que ses filles ne pourront se marier sans le consentement royal.
Cette dernière clause est capitale. Elle met entre les mains du roi de France la clé de la succession du duché.
Moins d’un mois plus tard, le 9 septembre 1488, François II meurt accidentellement à Couëron, à la suite d’une chute de cheval. Sa disparition laisse le duché sans défense. Sa fille aînée, Anne de Bretagne, âgée de douze ans, devient duchesse. Elle hérite d’un pays exsangue, ruiné et menacé.
IX. Les suites immédiates : la tutelle française
À la mort de François II, une régence est instituée sous la direction de la duchesse Anne et du maréchal de Rieux. Mais les divisions persistent. Les grands seigneurs bretons, comme Alain d’Albret et Jean de Rohan, poursuivent leurs intrigues pour obtenir la main de la jeune duchesse, chacun espérant s’emparer du duché par mariage.
Anne, malgré son jeune âge, manifeste une étonnante fermeté. Elle refuse ces unions imposées et cherche à restaurer l’indépendance de son État. Elle sollicite de nouveau l’aide de Maximilien d’Autriche, qui accepte un mariage par procuration en décembre 1490. Mais cette union, conclue sans l’accord du roi de France et contraire au traité du Verger, provoque la réaction immédiate de la couronne.
X. L’achèvement de la conquête (1489-1491)
La France, désormais dirigée directement par Charles VIII, décide d’en finir. En 1489, les troupes royales reprennent les hostilités. Les places fortes bretonnes tombent les unes après les autres : Rennes, Vannes, Vitré, Nantes sont assiégées. La résistance, bien que courageuse, s’effondre peu à peu.
Anne de Bretagne se réfugie à Rennes, où elle soutient un siège héroïque. Mais isolée, sans secours étranger efficace, elle finit par capituler. En décembre 1491, elle accepte d’épouser Charles VIII, roi de France. Ce mariage, célébré à Langeais, scelle l’union dynastique du duché et du royaume.
Si la Bretagne conserve encore, pour un temps, ses institutions propres, son destin politique est désormais lié à celui de la France.
XI. Signification et portée historique de la Guerre Folle
La Guerre Folle n’a duré qu’un peu plus d’un an, mais ses conséquences sont considérables. Elle marque la fin d’une époque : celle des grandes principautés féodales capables de résister à la monarchie. Après la Bourgogne, la Normandie et l’Anjou, c’est au tour de la Bretagne d’être intégrée, de fait, dans le royaume.
Le conflit fut aussi un tournant militaire. L’armée royale, forte de son artillerie et de son organisation, démontra la supériorité des armées d’État sur les troupes féodales. La bataille de Saint-Aubin-du-Cormier, avec sa discipline et sa stratégie, annonce les guerres modernes.
Sur le plan politique, la guerre scella le triomphe de la monarchie centralisée. En brisant la coalition des princes, Anne de Beaujeu et Charles VIII affirmèrent le principe d’une souveraineté unique, préfigurant l’absolutisme à venir.
Enfin, pour la Bretagne, la défaite de 1488 ouvrit la voie à un long processus d’intégration. Le mariage d’Anne de Bretagne avec deux rois de France, puis l’union légale de 1532, inscrivirent définitivement le duché dans l’ensemble français. Toutefois, la mémoire de cette guerre, transmise par les chroniques et les traditions, demeura vive. Elle nourrit, jusqu’à nos jours, le sentiment d’une identité bretonne distincte et d’un passé glorieux.
XII. Héritage et mémoire
Au fil des siècles, la Guerre Folle a été interprétée de diverses manières. Pour les historiens royalistes du XVIe et du XVIIe siècle, elle symbolisait la victoire de l’ordre monarchique sur la féodalité. Pour les érudits bretons du XIXe siècle, comme Arthur de La Borderie, elle représentait au contraire le dernier acte héroïque de l’indépendance bretonne.
Dans la mémoire populaire, les figures de François II et d’Anne de Bretagne ont acquis une dimension presque mythique : celle d’un père et d’une fille sacrifiant tout pour défendre la liberté de leur pays. Les ruines de Saint-Aubin-du-Cormier et les chroniques de la défaite sont devenues des symboles de fidélité et de courage.
Aujourd’hui encore, la Guerre Folle demeure un épisode fondateur de l’histoire bretonne. Elle rappelle la complexité des relations entre la Bretagne et la France, entre autonomie et union, entre particularisme et centralisation.
Conclusion
La Guerre Folle fut, en apparence, une rébellion féodale contre l’autorité royale. Mais en réalité, elle dépassa largement ce cadre : elle fut le dernier affrontement entre deux conceptions du pouvoir et du monde. D’un côté, la Bretagne, attachée à son indépendance, à ses coutumes et à son autonomie seigneuriale ; de l’autre, la France, portée par la logique de l’unification nationale et de la centralisation monarchique.
La victoire française à Saint-Aubin-du-Cormier en 1488 ne fut pas seulement une victoire militaire : elle scella la fin d’une civilisation féodale et l’avènement d’un État moderne. La Bretagne perdit son indépendance politique, mais conserva son âme. Son histoire, son droit, sa langue et sa mémoire continuèrent à témoigner d’une identité forte, enracinée dans les siècles.
Ainsi, la Guerre Folle apparaît à la fois comme un drame et une transition : drame pour un duché qui voyait disparaître sa souveraineté, transition vers une France nouvelle, unifiée, stable, et capable de jouer désormais un rôle décisif dans l’Europe renaissante.
Elle demeure l’un des épisodes les plus significatifs du long dialogue entre la Bretagne et la France — un dialogue parfois douloureux, mais fondateur de l’histoire commune des deux nations.